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[compile] où l'on reparle de renata n'importe quoi et de catherine guérard

Publié le 15 mars 2022 par Tilly

: présentation de la réédition de ______Renata n'importe quoi , roman de Catherine Guérard, aux éditions du Chemin de Fer, novembre 2021 ; c'est un mashup de plusieurs chroniques déjà publiées ici à propos de ce roman obsédant, avec quelques révélations "sensationnelles" - mais malgré tout - incomplètes, sur son auteure...
les extraits de Renata n'importe quoi infra respectent bien évidemment la ponctuation inventée par Catherine Guérard

Dans une des chroniques littéraires rassemblées dans [compile] où l'on reparle de renata n'importe quoi et de catherine guérardLe Cycliste du lundi (recueil posthume, La Grande Ourse, 2012), François Nourissier écrivait :

" Puis vint l'automne 1967 et l'on découvrit un vrai roman de Catherine Guérard, composé il est vrai d'une seule phrase, mais une phrase longue de cent quatre-vingt-quinze pages. Cette phrase frôla le Goncourt, aventure qui prouve que nous pouvons tout attendre de cette romancière. [...] Catherine Guérard a écrit un roman qui défie l'imitation et décourage la comparaison [...] je ne sais pas ce qu'elle écrira ensuite, ni quand, ni même si elle n'attendra pas encore une dizaine d'années avant de se remettre au travail ; il n'en est pas moins sûr que nous avons affaire avec Catherine Guérard à un personnage exceptionnel ; Renata n'importe quoi suffirait à nous empêcher d'oublier son auteur. "

En dépit des attentes de François Nourissier, Renata n'importe quoi (Gallimard, 1967) restera le dernier roman de Catherine Guérard (1929-2010), disparue mystérieusement et brutalement des radars de l'Édition dans les années 70 et suivantes.

Fin 2021, Jérôme Garcin salue la première réédition de Renata n'importe quoi aux Éditions du Chemin de Fer :

" , Il y a des portes, les portes, c'est fait pour partir, j'ai dit, "

Renata n'importe quoi, c'est le soliloque ininterrompu d'une femme simple qui en a assez et qui part pour être " une libre ", libre de choisir son prénom, son nom, de ne plus obéir à rien ni à personne, jamais. Pendant trois jours et deux nuits, elle déambule dans Paris, de banc public en banc public, avec pour tout bagage quatre malheureux cartons ficelés à la va-vite sur lesquels elle veille comme sur le plus précieux des trésors.

C'est d'abord l'ivresse joyeuse de planter là sa patronne, la concierge de l'immeuble, les commerçants de sa rue, qui ne comprennent pas ce qui lui prend tout à coup. Puis, ses étonnements comiques (un self, le métro, un hôtel minable), ses bonheurs touchants (une rose, une pomme, le petit jour, le chant des oiseaux). Plus tard, sa rage et sa révolte, quand des personnes qu'on dit bien intentionnées tentent de mettre un terme à son envol, en la réinsérant malgré elle.

Alors oui, Catherine Guérard choque avec une ponctuation réduite au strict minimum (la virgule) pour rendre à l'écrit le flot des pensées de son héroïne. La virgule pour la respiration, le souffle. Après tout quand on se parle à soi-même on ne met pas les points au bout des phrases, ni deux points, ni points virgules, pas de points d'interrogation ni d'exclamation non plus. Mais il y a des majuscules qui structurent les ruminations de Renata, lorsque son attention est attirée par quelque chose ou quelqu'un, ou qu'elle se rapporte à elle-même les (rares) propos qu'on lui a adressés.

Après une courte adaptation on pige vite le truc, le rythme. On se glisse dans le phrasé inimitable de Renata, on sourit de ses formules dont la fantaisie révèle la clairvoyance, on partage ses indignations naïves et ses refus de se plier à des dictats imbéciles.

C'est un roman étrange, d'une originalité radicale et moderne, marquante. C'est une chimère littéraire qui engage émotionnellement le lecteur. Renata fait ce qu'on aimerait pouvoir faire quelquefois, à savoir tout envoyer promener, mais elle n'a, contrairement à nous, aucun scrupule, aucune retenue, aucune réticence à abandonner pour toujours travail, logis, confort. Renata décide du jour au lendemain de se libérer de toute contrainte, de rejeter tout projet, toute anticipation.
Ce roman est un défouloir : Renata se défoule, Catherine Guérard se défoule, le lecteur se défoule !
Le temps du roman, on veut être Renata, on l'envie, on l'aime pour sa liberté sauvage, et en même temps on sait que c'est une utopie, qu'on ne peut pas être Renata ; on lui en veut un peu (ou beaucoup) pour ça. On est parfois pris entre empathie et irritation, on se surprend à se moquer d'elle avec ceux qu'elle traite de " nouillards ", puis on regrette parce qu'on a de plus en plus confusément peur pour elle, peur pour nous.

On n'oubliera pas Renata. On ne pourra pas. Contre tout principe de narration et de construction d'un personnage romanesque, Catherine Guérard ne dit rien de son passé, rien bien sûr de son état-civil. Lorsqu'on interroge Renata, elle ment effrontément et se remémore ensuite en rigolant les bons tours qu'elle a joués. Sa pensée sans repos la définit toute entière dans l'instant, à chaque instant. D'abord pimpante, effroyablement candide, et peu à peu de plus en plus tragique à nos yeux.

Un peu débile peut-être, mais pas complètement, ou alors c'est par feinte, par alibi, par prudence. Sans filtre et imprévisible, en équilibre entre autisme léger et clairvoyance fulgurante. Seul lien à son histoire personnelle, le paquet de lettres qu'elle protège des intempéries et trimballe partout avec elle. Les lettres de Paul...

À la recherche de Catherine Guérard

[compile] où l'on reparle de renata n'importe quoi et de catherine guérardOn ne sait rien ou si peu de Catherine Guérard [...] Sa trace se perd après la parution de Renata n'importe quoi [...] À ce jour, personne ne sait nous dire ce qu'elle est devenue.

Les éditions du Chemin de Fer ont mis en quatrième de couverture (rabat) une photo de Catherine Guérard en train de dédicacer Renata n'importe quoi (circa 1967).
L'effet de surimpression renforce la tonalité douce, effacée, presque fantomatique du portrait.

Pour cette réédition, François Grosso et Renaud Buénerd se sont mis en quête - difficilement car il reste peu de témoins directs - d'informations sur la personnalité de Catherine et le pourquoi de son effacement.
Ils ont recueilli des données biographiques : son nom de naissance, ses dates de naissance et de décès que son précédent éditeur, Gallimard, ne connaissait plus.
Et des éléments souvent contradictoires, mais des surprises aussi.

Ils ont rencontré Yvonne Baby (née en 1929 comme Catherine). En 1967, elle est lauréate du prix Interallié, Catherine Guérard manque de peu le Goncourt et le Renaudot. Elles deviennent amies et correspondront longtemps après le départ de Catherine pour Collonges-la-Rouge dans la Corrèze. Elles sont associées dans la création du Prix d'Honneur du roman (prix littéraire éphémère visant alors à secouer l'inertie du Femina) qui couronnera notamment Henry Bauchau (
Le Cavalier noir, 1972) et Annie Ernaux ( Ce qu'ils disent ou rien, 1977).

Dans Dans son portrait de Catherine Guérard, Yvonne Baby lève le mystère de la dédicace : À l'encre bleu nuit (Baker Street, 2014) Yvonne Baby écrit de son amie qu'elle était " grave et impertinente, les yeux amusés, romantiques", qu'elle était lumineuse et étrange ; musicienne ; féministe ; elle se souvient de sa " "Catherine a dédié Renata n'importe quoi à François, qui allait présider la France - François, la constance, [lui] écrira Catherine [à Yvonne Baby] des années après." silhouette frêle et frileuse, le visage et les cheveux fins, un rire rapide qui lave instantanément les médiocrités, les trahisons, imprégné de tout l'humour qu'inspire une profonde mélancolie. Catherine est souvent malade et sourit des souffrances, s'apaise en les racontant."
Un petit (ou grand) mystère dévoilé, mais il en reste beaucoup - heureusement !
Toujours d'après Yvonne Baby, peu après 1967, Catherine a une correspondance amoureuse avec Paul Guimard (ami de Mitterrand), second mari de Benoîte Groult : Blandine de Caunes (fille de Benoîte) a retrouvé récemment des lettres de Catherine Guérard à son beau-père.

>> j'ai déjà parlé de Renata n'importe quoi et de Catherine Guérard, ici ou là :

  • Renata n'importe quoi (1967)
    "Quel dommage que ce beau texte trop peu connu n'ait pas été adapté pour le théâtre. En le lisant, je pensais à (j'entendais) Yolande Moreau ou Corinne Masiero."
  • Ces Princes (1955, 1968)
    "Ces Princes est une courte histoire d'amour entre deux hommes. C'est un premier roman. C'est étrange d'imaginer une jeune fille (ou une jeune femme, on sait peu de choses sur Catherine Guérard) écrire ce conte profond, romantique et tragique. Pourquoi le choix de ce sujet casse-gueule, voire provocateur pour l'époque ? D'où l'auteur a-t-elle tiré son inspiration et ses modèles ?"
  • Catherine Guérard quelque part, le mystère
    "Je n'ai trouvé aucune information biographique sur l'auteur, aucune photo, pas de page wikipedia. Juste sa voix et son rire que l'on entend, grâce à l'Ina, sur un enregistrement du Masque et la plume de décembre 67 (avec François-Régis Bastide, Michel Polac, Robert Kanters, Matthieu Galley, Alain Bosquet). Et appris qu'elle était journaliste. Rien d'autre. "
  • Réédition de Renata n'importe quoi aux Éditions du Chemin de Fer, novembre 2021
    "Réédition tout à fait inattendue et très heureuse, d'un roman-culte, marquant et mystérieux ; c'est le second (dernier) roman d'une auteure incompréhensiblement disparue des radars de l'Édition, compte tenu de son talent et sa modernité."

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