Fabrice Rebeyrolle, Isabelle Lévesque, préface de Sylvie Fabre G., Éditions Mains-Soleil
Ce n'est pas le premier recueil que la poète Isabelle Lévesque et le peintre Fabrice Rebeyrolle réalisent ensemble. En voici un autre qui est le fruit de leur double rencontre amicale et artistique. Un peintre, une poète, une commune indignation contre l'oppression des femmes vêtues de la burqa. Ce recueil Elles est né d'une incompréhension : " Pourquoi ? ". Il se compose d'une série de onze toiles de Fabrice Rebeyrolle intitulées " Voilées " et de onze poèmes d'Isabelle Lévesque qui est à l'écoute et accompagne ces peintures avec son propre imaginaire.
Le peintre se sert de dominantes de couleurs sombres, noir et bleu relevés de quelques touches colorées pour faire ressortir la vie vivante du monde qui persiste à côté de ces femmes voilées. La poète, elle, laisse advenir ses mots. Mais quels mots pour dire cet impensable enfermement ? Nous lisons dans la sidération :
" la grille est close le pont-levis levé
soulève le bleu lourd
de la carcasse souple ligotée "
" Carcasse ligotée ", saisissante formulation à la mesure de ce que nous ressentons devant ces silhouettes voilées. Fabrice Rebeyrolle tente de rendre tangible l'informe. Sans contours appuyés -il dessine une ou plusieurs silhouettes. Corps emprisonnés, bâillonnés, entravés. En écho, Isabelle Lévesque se met en quête des mots, " visages ", " étreintes ", " pieds ", " mains ", " corps d'ombre " pour ramener à un peu de familier et d'humain. Elle associe le vêtement aux mots de l'oppression : " armure ", " encombrement ", " spectre ", " cercle ", " grille ", " cyclope aveugle ". L'idée de captivité rôde :
" L'étreinte seule et le corps penche
comme tremble le risque inouï de paraître"
L'anonymat de ces silhouettes a quelque chose qui offusque profondément ; c'est la force de l'œuvre peinte de le faire ressortir. Et celle des mots poétiques de mettre en visibilité l'invisible de ces " visages sans nom ", de ces corps aux allures de spectres. Isabelle Lévesque choisit ainsi d'écrire en lettres capitales ce pronom féminin pluriel. Dénué de toutes références, il est le symbole même de l'indéfini. Plus loin la poète retient à nouveau les lettres capitales EXISTER, comme pour marteler l'évidence d'humanité, malgré tout.
Que peut-on savoir des pensées, des sentiments, des rêves de ces femmes ? On ne peut qu'imaginer. Et la poète croit entendre un " cri informulé ". Elle ose ce souci empathique de l'autre :
" Je dessinerai le visage bleu du ciel [...]
Je ferai libre le poème bougé sur la feuille d'ombre "
Poèmes et toiles sont là en dialogue pour dire non à l'emmurement et à la damnation solitaire de ces femmes. On est comme agressé. Alors que la vie est, par nature, synonyme de mouvement, de souplesse, de liberté, la colère nous saisit devant ces apparitions excluantes, devant la sujétion qui nie toute existence individuelle, sociale à ces femmes.
L'humanité empêchée de ces femmes ne peut que susciter un douloureux questionnement Que pouvons-nous ? Cette question traverse implicitement tout le recueil, nous met mal à l'aise. Dans la préface, Sylvie Fabre G. convoque la peinture et la poésie " Comme des lampes allumées ". Ces mots et ces toiles en effet nous font signe, nous interpellent. Dans notre monde ébranlé, c'est ce qu'il faut sauvegarder. Ce duo d'Isabelle Lévesque et de Fabrice Rebeyrolle rejoint ainsi la belle et antique tradition chinoise : " Une peinture est un poème sans voix, un poème est une peinture parlée ".