Femmes voilées Préface de Sylvie Fabre G.
Éditions Mains -Soleil
Lecture de Patricia Cottron-Daubigné
"Rien, que la forme ou le voile
qui rassemble et noue les composantes effacées
le silence sur trois spectres façonnés à main nue,
les papiers déchirés de leur mémoire. "
" Exister ", ce qui est écrit dans l'une des œuvres reproduites, au pied des trois figures, des trois formes que leur tenue désigne femmes avec un vêtement couvrant, musulmanes voilées.
" Voilées " c'est le titre donné à l'ensemble plastique réalisé par Fabrice Rebeyrolle, œuvres qui répètent en variation les trois formes évoquées plus haut, soit le même nombre, soit figure isolée, soit groupe plus conséquent.
" Elles ", le titre choisi par Isabelle Lévesque pour les poèmes qu'elle a écrits en dialogue avec ces œuvres et si j'ose dire en dialogue avec les femmes voilées peintes par Fabrice Rebeyrolle.
Ces trois titres illustrent parfaitement la proposition faite par ces deux créateurs : traiter, chacun avec les moyens de son art, ce sujet si difficile, disons, a minima, l'étrangeté de ce voilement, et en faire œuvre délicate et poétique ; donner vie, faire exister ce qui est absence-présence, ces formes sans visage et partant sans nom, voire sans sexe. C'est l'enjeu et la réussite de ce travail.
" Je dessinerai le visage bleu du ciel. Je dirai
qu'il pleut l'azur sur les contours
gagnés par la couleur sans tache
d'une parole secrète.
Je crierai les noms trois fois, corne de brume
sur la terre dévastée des Sans Visages. "
Fabrice Rebeyrolle, dans ces œuvres réalisées dans des techniques diverses (gravures en taille douce, lavis, collage d'affiches arrachées, étoffes et cendres, etc.) présente sur le devant de la scène, c'est-à-dire frontalement, ces femmes voilées dans la totalité de leur corps. Aucune esthétisation n'intervient, aucun exotisme, aucun jugement. Seuls parlent le poids des vêtements, la lourdeur dans le mouvement des tissus, le visage absent remplacé parfois comme par une grimace de tissu. Tantôt elles se détachent d'un fond qui les révèle, tantôt elles s'y dissolvent comme inatteignables, perdues disparues dans ce qui les enjoint à s'envelopper. Dans chacune des œuvres, Fabrice Rebeyrolle réussit à faire advenir ces femmes, à les rejoindre, créant chez les spectateurs que nous sommes l'émotion qui naît devant l'enfermement. Étrangement, travaillant la soumission - dans le mouvement, dans le regard invisible-visible, dans ces corps de femmes soudés les uns aux autres - c'est une forme d'émancipation qui apparaît. Coexister, elles ensemble, lui et nous avec elles.
" ELLES
se dressent.
Protestation combinée : matière muette,
figures de couleur autour de la lumière :
EXISTER.
Lettres creusées dans le corps de trois pierres
attachées à une seule vérité. "
Isabelle Lévesque, dans des poèmes aussi beaux que les images que je viens d'évoquer, s'engage dans l'empathie avec ces femmes sans que le pathos ni la dénonciation politique ne viennent amoindrir la portée des poèmes. Elle interroge ces images, celles que nous connaissons venues des pays concernés ou des rues de nos villes parfois mais surtout celles qu'a créées Fabrice Rebeyrolle. Dialoguant avec les œuvres, Isabelle Lévesque opte pour ce détour, une sorte de mise à distance qui permet ainsi de mieux questionner cette présence-absence de la femme, qui permet de nommer seulement à partir d'un regard, celui de la poète, et le nôtre, une tragédie.
" Chaque parole perdue renaît-elle en cette femme
que soulève, c'est le vent peut-être
le cri désormais retenu dans les plis de pierre ? "
Voiles pesants, matière informe, gestes à peine ébauchés, femmes plurielles et indifférenciées, pierre et cendres, comme une vie abdiquée. Une vie recluse. Écrasées, on ne peut s'empêcher de penser qu'elles le sont - et pourtant ce travail, texte et image, opère une transfiguration, des figures d'ombre. De ces corps soudés naît comme une solidarité, un combat possible. Dire l'absence du visage, du nom, cela suffit, comme une résistance. Et la délicatesse des interrogations qui parcourent les poèmes, comme la répétition de modélisateurs y contribuent fortement.
" L'étreinte seule et le corps penche
comme tremble le risque inouï de paraître.
Sous la voûte les étoiles sont seules
encore brillant secrètes : la nuit verticale
brise la colonne par sa morsure bleue.
Peut-on croire qu'elle, sous sa cape, défigurée
recompose l'alphabet d'une langue refusée ?
Elle, ou une autre. "
(...)
Car à relire encore les poèmes, à regarder encore les reproductions des œuvres, c'est bien finalement la vie qui est donnée à ces femmes, loin de tous les discours convenus et de toutes sortes de jugements. Comme si par les mots, les couleurs, les formes, par les choix effectués par l'un et l'autre, le peintre et la poète avaient réussi tout en montrant l'enfermement à ne pas annihiler ces femmes mais à leur donner force.
Exister, Elles.
Patricia Cottron-Daubigné, pour Terres de femmes
PATRICIA COTTRON-DAUBIGNÉ
© Crédit photo : Véronique Amans