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VIGNALE, Le Jardin partagé | Ricochets poétiques d'Angèle et de Marie-T

Publié le 04 mai 2022 par Angèle Paoli
VIGNALE, Le Jardin partagé | Ricochets poétiques d'Angèle et de Marie-T

Ph. Angèle Paoli

VIGNALE / JARDIN PARTAGÉ d'ANGÈLE et de MARIE-T

1ère lettre

Lyon, Le Clos Fleuri, Dimanche 1er Mai 2022

Très chère Angèle,

Lors de ton récent passage à Lyon, nous avons convenu de créer sur nos sites respectifs : Terres de Femmes et Cause des Causeuses, une sorte de correspondance poétique en lien avec nos lectures en piochant dans nos plantureuses bibliothèques. Il s'agirait de se poster numériquement, sous la forme de lettre, chaque semaine, un ou plusieurs extraits à lire , en indiquant sa provenance, à la manière de ce que nous faisions avec d'autres e-lecteurs et lectrices sur l'Almanach Poétique du site Zazieweb créé par Isabelle Aveline en 1996, magnifique et vivante plateforme d'échanges, où nous nous sommes connues un peu plus tard.

À noter que c'est Marie-Ange Sebasti , poète lyonnaise et corse récemment disparue, qui m'avait parlé de ce site Zazieweb dans un grand sourire : - Tu verras, je crois que ça t'intéressera ! Elle a été par la suite co-fondatrice, à mes côtés, de la Cause des Causeuses avec Guylaine Carrot et Armand Dupuy en 2007. Tu as adhéré plus tard et souvent contribué à nos publications ou ateliers.

Nous nous sommes toutes croisées Marie-Ange, toi et moi, d'abord avec des pseudos et l'amitié a prospéré sur cette découverte. Je m'appelais Escarbille Bis, mais je ne me souviens plus du tien et du sien, ni de celui d'Yves Thomas, ton cher mari défunt, particulièrement actif et compétent lui aussi sur le web ... Tout a été effacé ou stocké quelque part dans l'océan du numérique... Il y avait un top-50 des meilleur.e.s contributeurs ou contributrices et chacun.e essayait d'être bien placé.e pour rester dans la liste. En fait, cette course chronophage à la visibilité nous a appris à apprivoiser ces nouvelles technologies de forums en ouvrant des perspectives d'appropriation culturelle inimaginable auparavant. Elle nous a aussi confortées dans l'envie de lire et d'écrire.

Renouer avec cette pratique de rebonds réciproques sur des propositions de lecture peut, certes, se faire encore sur des forums ou des Sites, mais à l'usage, on a l'impression de parler à la cantonade sans réel interlocuteur ou interlocutrice. Par ailleurs, beaucoup d'entre nous ont investi internet pour leur propre promotion éditoriale, laissant peu de temps pour les échanges plus classiques, notamment les commentaires ou les " vraies lettres " postales aujourd'hui remplacées par les messageries électroniques, S.M.S ou Textos électroniques. Tout s'est accéléré et nous avons perdu le goût des conversations individuelles, en aparté et en continuité dans le temps.

On avait dit qu'on commençait aujourd'hui, et on avait mis quelques bouquins en réserve pour amorcer notre e-dialogue. Avant que je réponde à ton prélèvement dans le livre de Colette Fellous, à propos du petit foulard de Marguerite Duras, je t'envoie ce premier texte. En espérant qu'il t'inspire. Il est de toi.

" Espace douillet de la chambre. Ils parlent peu. Échange

voilé à demi-mots.

Mara. Elle a fait un rêve. Déjection violente d'un présent qui perdure. Au matin, elle se réveille meurtrie. Visage défait par les tourments de la nuit. Elle raconte. " Mara la Noire ". Sa vie recluse séquestrée. Mara au bord de la tragédie. Ils écoutent. Patients. Ils accueillent sa parole.

Colère, désespoir. Chagrin.

La lagune. Ils avaient roulé ce mot de lagune dans leur bouche, chacun à leur manière. C'était comme un bonbon ancien, mystérieux, chargé de rêves. Et pourtant, il gardait une saveur fade et creuse. Lacunaire. Faite d'un mélange d'eau de mer et d'eau saumâtre. Un jour pourtant, la lagune les avait entraînés jusqu'à elle. Ils avaient d'abord découvert le large, la mer grise. Les grandes plages désertées du Lido, abandonnées au vide de la solitude. Ils avaient marché longtemps dans le vent et les embruns. Elles avaient marqué le sable de leur empreinte jumelle. Elles récitaient Duras. Elles récitaient son nom de Venise. Elles erraient à l'embouchure du Mékong. Elles faisaient crisser sous leurs pas les coquillages qui affleuraient dans les trous d'eau. Le Pacifique les berçait du roulis nonchalant de ses vagues. La mendiante s'était glissée entre elles. Elles étaient habitées de son chant. Portées par une émotion qui les jetait l'une vers l'autre.

Elles avaient retenu leur tendresse sur le fil.

Pour la mendiante et pour elles-mêmes."

Angèle Paoli, Italies Fabulae, Récits & Nouvelles

AL MANAR, 2017, pages 24, 25.

Je sens confusément qu'il nous fallait commencer par Duras. Voilà, c'est fait, par ton intermédiaire et par l'envoi de ce livre à propos du petit foulard de Marguerite. J'ai eu l'intuition qu'il allait nous rapprocher, puis qu'il y est question d'amitié et des signes qui la représentent à l'épreuve du temps et de l'éloignement. La littérature sert à cela pour moi. Elle n'a pas d'autre alibi devant le crime banalisé de l'oubli de se rappeler mutuellement aux moments de bonheur inscrits dans la mémoire d'un.e autre que soi, jusqu'à l'anonymat. Mais pour l'instant, c'est à toi que je m'adresse. Je me suis brusquement souvenu d'un titre de recueil écrit par " notre " Marie-Ange, elle l'a publié chez Jackie Platevoet à l'époque de ses éditions SANG D'ENCRE ... Il s'intitule LA PORTE DES LAGUNES, je t'en offre quelques passages, dans la langue très sculptée de notre Amie. Le connais-tu ?

On déchargeait nos sacs sur des sables neufs En cas de vertige
des rochers burinés
pour explorer tous les lagons
écoper sans impatience leur silence
On retardait les houles attendues
rejoignez cette rive
de sable encore tiède
où vous êtes passé
distraitement peut-être
Et racontez ces pas
que volera bientôt le vent
*
Il ne suffira pas d'arraisonner la lumière
Pour prendre un peu de sa folie
Mais il faudrait à l'abordage
en arracher quelques rayons
et d'abord
trouver en soi le pirate
l'habiller, le sermonner, le dépêcher
sur des mers dangereuses
dont il n'a pas la carte
*

Les frontières avaient grande allureEt racontez ces pas
et demandaient des révérences
que volera bientôt le vent
*
Il ne suffira pas d'arraisonner la lumière
Pour prendre un peu de sa folie
Mais il faudrait à l'abordage
en arracher quelques rayons
et d'abord
trouver en soi le pirate
l'habiller, le sermonner, le dépêcher
sur des mers dangereuses
dont il n'a pas la carte
*
On les laissait sans peine
tenir leurs distances
On connaissait
Le chemin des contrebandiers

Les frontières avaient grande allureMarie-Ange SEBASTI,
et demandaient des révérences La porte des lagunes, 2006,
On les laissait sans peine
tenir leurs distances
On connaissait
Le chemin des contrebandiers

Ce sera tout pour aujourd'hui, j'attends ton écho, je continue à butiner dans ma bibliothèque et je t'embrasse non loin de mon brin de muguet. J'en mettrai un extrait dans mon prochain courrier.


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