1941 – la Gnose et le Graal - 1

Publié le 07 mai 2022 par Perceval

Myrrha Lot-Borodine

Lors de ses visites à Fontenay-aux-Roses, Lancelot eut le privilège d'échanger avec Ferdinand Lot, et aussi avec son épouse, Myrrha Lot-Borodine, au sujet du Graal et du contexte politique actuel... Myrrha avec beaucoup de sollicitude interrogeait Lancelot sur sa vison du Graal et craignait peut-être qu'un mauvais gnosticisme l'amenât à défendre le pire....

Myrrha, dès novembre 1940, s'était autorisée à écrire au cardinal Baudrillart sur sa position concernant le nazisme : " La peur est mauvaise conseillère. Un chrétien, un prêtre surtout, ne doit rien craindre - pas même l'atroce guerre civile pour son peuple - rien sauf le jugement de Dieu, révélé à chaque membre du Corps mystique, par sa conscience profonde. Dans cette conscience, la vérité prime tout (...) " écrivait-elle , et lui demandait s'il avait oublié " la grande voix de Rome qui a définitivement condamné une certaine doctrine raciste, antisémite au premier chef, comme néo-païenne et impie ".

Lancelot, précisément, s'interrogeait sur la question gnostique qui aurait pu rapprocher la voie du Graal, à une religion païenne, comme pouvait le laisser paraître, le national-socialisme aryen.

Avant de parler du Graal, la question concerne un certain ésotérisme gnostique, qui pourrait être le fondement d'un occultisme nazi ?

- Le nazisme a l'objectif d'élaborer une religion raciale, en revenant au paganisme germanique issu des indo-européens ( aryens). Il s'agit donc de renoncer aux croyances étrangères comme celles issues du christianisme. La société de Thulé de Sebottendorff, est dédiée au dieu Wotan. Cependant, on peut reconnaître une influence du romantisme allemand et de la théosophie, en un syncrétisme pas toujours évident.

Lancelot aurait tout d'abord, envie - c'est vrai - de défendre une idée de la '' Gnose '', telle qu'il l'a compris au cours de la lecture de Hans Leisegang (1890-1951). Hans Leisegang, fait partie de ces philosophes, peu nombreux, qui se sont opposés au régime nazi, avec Theodor Litt, Eduard Spranger par exemple.

Hans Leisegang est un philosophe, et aussi un physicien, spécialiste de '' '' et de la question du '' La Gnose ''... Que dit-il de la Gnose ? Mal

Le gnosticisme est le moyen d'atteindre le salut, et ce salut s'obtient par la connaissance. " La gnose, c'est la connaissance de ceci que la connaissance nous sauve. "

" C'est la connaissance de ce que nous sommes et de ce que nous sommes devenus, du lieu dont nous venons et celui dans lequel nous sommes tombés ; du but vers lequel nous nous hâtons et de ce dont nous sommes rachetés ; de la nature de notre naissance et de celle de notre renaissance " Hans Leisegang, La gnose, p. 7 ( Leipsig, 1924).

La connaissance libère et sauve tandis que le mal et l'esclavage viennent de l'ignorance et de l'erreur. Le gnosticisme consiste à ne pas séparer la liberté de la vérité, c'est à-dire de la connaissance. On ne peut être libre que si l'on possède la vérité (la connaissance) ; celui qui est dans l'erreur (l'ignorance) n'est pas libre. Saint Jean affirme que c'est la vérité (connaissance) qui libère : " Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous délivrera " (Jean 8, 32).

C'est Platon qui le premier parle de gnôstikos dans le Politique (258e), pour désigner un type de savoir pur ou spéculatif qui concerne " l'action de connaître ", par opposition à la connaissance pratique d'un art ou d'une action.

C'est avec le développement d'une orthodoxie chrétienne, que le terme gnostique est devenu synonyme d'hérétique...

La connaissance gnostique est une connaissance qui permet au gnostique de retrouver son essence originelle, de rejoindre le Dieu véritable, le Dieu sauveur. Mais, paradoxalement, ce Dieu est inaccessible, il est caché et inconnaissable.

- Bien, bien ... conclue Myrrha... A présent, continuons avec Leisegang et observons ce qui se passe dans un monde gnostique... Ce Dieu, bon, a commencé par créer, par son Logos, le monde pur de l'Esprit. Le monde est alors rempli de puissances spirituelles qui, à leur tour, créent le ciel visible, la terre et l'homme à l'image de Dieu.

Mais il s'est produit chez les esprits une révolte contre Dieu. Elle a eu lieu sous la conduite d'un premier ange révolté qui a entraîné une partie des anges à s'incliner vers la sphère terrestre et à tomber dans les liens de la matière. C'est par ces anges révoltés que le péché est entré dans le monde. L'homme est alors entièrement coupé de Dieu.

Naturellement, cette Gnose personnifie le Mal et le Bien, en opposition, et naturellement, avec un dieu du Mal et un dieu du Bien...

Ce dualisme va servir un antijudaïsme, puisque ce monde étant imparfait, on pourrait en déduire un créateur imparfait, le dieu d'un ancien Testament, le dieu des juifs...

Lancelot reconnaît le danger. Pourtant, il ressent comme juste, l'idée d'un Dieu absolument transcendant, et qu'il faut nous méfier de tout anthropomorphisme. Ne peut-on penser que Dieu ne régit pas ce monde, qu'Il n'intervient pas ; sinon - avec le Christ - pour le sauver ?

Lancelot exprime sa difficulté à '' Croire ''. Il aime se rappeler ce que lui disait Simone Weil, professeur de philosophie : pour ce qui est des grandes questions, philosophiques, existentielles, il suffit de " les contempler sans plus, fixement, inlassablement, pendant des années, sans aucun espoir, dans l'attente. "

Mais enfin... Le mal s'abat indifféremment sur les bons et sur les méchants, sur les forts ou les faibles etc... Dieu est absent ! Enfin, du moins, ce monde ne semble t-il pas privé de Dieu ?