TARTU, ESTONIE
Je me suis noyée dans cette ville
et j'ai toujours de son eau sale dans les poumons
de son eau noire qui ne s'en va pas, et se rappelle
encore trop souvent.
Vivre dans ce gros bourg
y être artiste, secrètement
-artiste en devenir, mais trop peureuse
ou bien trop humble, ou bien trop fière
pour oser le clamer
-parce que tant de labels
déjà, te sont accolés
En vérité, que tu l'affirmes ou non
pour qui tu côtoyais
aucune différence
La seule différence est pour soi.
Des coups de boutoir répétés
-dans un village enflé aux confins de l'Europe
qui faisait espérer pour opposer l'absence
le vide sur des kilomètres
En tes frères autochtones
un élan arrêté, immobile
Et tes frères étrangers, comme toi
prisonniers, dans les limbes d'une identité
-mois après mois, des coups de boutoir répétés
parmi tout juste un seul t'était proche
mais lequel ? lui le premier porteur du mal
-tu l'avais bien senti
dans sa démarche, au tout début
dans la pénombre : un ange des ténèbres
-des coups de boutoir répétés
sur la cloison qui te gardait de la détresse
tu as tenu jusqu'à ton nid
un retour au pays avant de repartir
et au pays, tout a cédé.
Anna Ayanoglou, " Second mouvement, Ce savoir, se savoir " in Sensations du combat, Poèmes, Éditions Gallimard 2022, pp.57, 58
Prix Révélation poésie de la SGDL