A une feuille printanière qui se détache prématurément de sa branche et se pose en virevoltant sur l’herbe encore fraiche de rosée, à la brume humide qui ce matin teinte la verdure d’un brin de nostalgie, hier encore le soleil réussissait à se jouer des nuées persistantes, les orages promis parvenaient à peine à griser le ciel de fugaces menaces, le « cafard » trouve pitance dans le trouble des « entre-deux »… « Entre-deux » averses, entre-deux nuages, entre-deux saisons… Tout équilibre fragile verse dans son écuelle, bascule dans ses bras grassouillets de morosité, qui l’enserrent en lui nouant la gorge jusqu’à ce que chagrin s’ensuive… Il suffit de peu, qui n’a dans sa valise quelques souvenirs teintés de regrets, une absence, un désir inassouvi, une perte ou la cicatrice d’une souffrance qu’il se plaira à raviver comme si l’affaire était de première jeunesse…
Le sournois sait se faufiler entre deux bonheurs qui en rappellent d’autres hélas défunts, il se joue de nos chansons fétiches, quelques notes suffisent à piquer les yeux les plus rieurs, les voilà humides en un instant… Dès lors qu’il a trouvé « chaussures à son pied », il enlace la première idée de noir toute habillée qu’il fait danser, tenace et bien « encrée » elle sait lester le coeur le plus léger, et manie à merveille le prisme du pire : problèmes sans solutions, inquiétudes stupides, de l’ombre et de la lumière on sait déjà qui gagnera, son crayon noir n’a pas son pareil pour assombrir le plus rayonnant des sourires !
Une seule parade, ignorer l’intrus, puis profiter d’une inattention passagère, à toutes jambes fuir, se réfugier là où tintent des éclats de rire, se saisir d’un ou deux crayons de couleur, mieux encore, d’une boite de vingt-quatre gouaches dont l’embarras du choix vous convaincra que c’est à vous de colorier votre vie, comme les cahiers qu’enfant nous bariolions les jours de pluie, la vie est bien plus pétillante qu’un champagne millésimé, et plus amusante qu’on serait tenté de le penser…