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La jeune femme et la statue du parc.

Publié le 11 août 2008 par Sophielucide

Il était une fois une jeune fille qui venait d’emménager dans la capitale. Agée d’à peine seize ans, elle avait du quitter ses amis d’enfance, ce qui l’avait plongée dans une profonde mélancolie. Elle se sentait perdue dans son nouveau quartier et vivait cette déchirure comme une trahison de la part de ses parents qui ne l’avaient consultée qu’au dernier moment pour lui faire part de leur décision arbitraire. Aussi, la jeune fille nourrit à leur encontre un ressentiment qui s’installa durablement ; le parc à côté devint un refuge à cette solitude qu’elle alimentait par les poèmes qu’elle lisait.

Elle avait découvert ce petit parc dès le lendemain de son arrivée et c’était là le seul lieu où elle retrouvait un semblant de paix et de sérénité. D’abord, parce qu’il n’était pas fréquenté et qu’elle pouvait s’adonner à sa passion, la lecture, en toute tranquillité. Et puis grâce à une statue qu’elle adopta immédiatement, à qui il lui arrivait de parler en secret, confier sa lassitude et sa détresse. Elle avait pris pour habitude d’écrire de petits mots sur des morceaux de papier qu’elle déchirait des pages de garde de ses livres et qu’elle coinçait ensuite dans une encoche qu’elle avait découverte sur le socle de la statue.
La sculpture représentait un sombre inconnu, anciennement mécène dans le quartier du temps de la Commune. On ne savait pas grand-chose de cet homme dépassé par l’effigie si parfaitement rendue. Il semblait plus vrai que nature : de forte stature, il avait fière allure, la tête haute, le regard levé vers le ciel et la main tendue dans une direction inconnue, que la jeune fille s’imaginait comme une sorte de paradis perdu.

Les années passèrent, l’adolescente devint une jeune femme d’une grande beauté mais le malheur qu’on lisait dans ses yeux noirs n’avait pas décliné. Etudiante à présent, elle n’avait abandonné aucune de ses tristes habitudes et vivait toujours chez ses parents qui se lamentaient de l’indéfectible nostalgie de leur fille unique. Ils n’avaient cependant pas à se plaindre de sa conduite parfaite tant avec eux qu’au sein de la société mais toute trace de joie semblait l’avoir définitivement quittée. Ni la médecine, ni les diplômes brillamment obtenus n’avaient effacé la souffrance qui se lisait sur son visage fermé.

Elle visitait désormais de nuit le parc favori où trônait le monument chéri. Dès la nuit tombée, elle enjambait la petite grille pour s’installer sur son banc, juste en face de la statue. Elle commençait par la fixer en silence. Un spectateur invisible aurait pu discerner ses lèvres si parfaitement dessinée remuer dans la nuit. S’adressant à son ami de pierre, elle récitait des poèmes qu’elle s’était mise à composer pour lui ; elle semblait par moment entrer en transes. Son corps se relâchait, on aurait dit une poupée de chiffons aux membres désarticulés. Son étrange rituel finissait toujours de la même manière : elle pliait un papier qu’elle glissait sous le socle et baisait la main glacée de son protégé. Souvent, son visage noyé de larmes brillait dans la nuit et puis elle quittait ce lieu déserté, d’un pas lent, parfois syncopé pour aller se coucher.

Une nuit de pleine lune, elle ne rentra pas chez elle, une fois son poème glissé dans l’encoche, mais rejoignit son banc et s’y endormit. Une légère secousse la réveilla et quelle ne fut pas sa surprise en reconnaissant les traits de son ami de pierre qui la contemplait dans le noir. Agenouillé à ses côtés, il lui sourit en lui prenant la main. Nullement effrayée, elle vérifia qu’il s’agissait bien du vieil ami qu’elle s’était choisie dès son arrivée dans la ville. Le socle vide la rassura, elle ne rêvait pas, il était bien là, se décidant enfin à répondre à son appel. Elle se releva, lui fit une place à ses côtés sans lui lâcher la main qu’elle observa avec attention. Une main forte, aux ongles soignés, blanche si on exceptait quelques taches de rouilles créées par les ans. Elle la porta à ses lèvres en fermant les yeux et murmura « merci ».
L’homme prit alors la parole en la regardant droit dans les yeux, son front altier plissé par l’inquiétude. Il commença sa longue litanie en faisant comprendre à la jeune femme à quel point elle se fourvoyait, que l’amour qu’elle avait crée de toutes pièces par ses tendres écrits était voué à l’échec cuisant dont elle ne se remettrait pas, qu’elle perdait ainsi les plus belles années de sa vie à poursuivre un fantôme dont il ne fallait rien espérer, qu’elle était si jeune, si belle, que c’était véritablement un gâchis que mettre ainsi de côté la vie elle-même.
Plus l’homme parlait, plus la jeune femme souriait. Buvant littéralement ses paroles, elle finit par rire franchement ce qui étonna son interlocuteur qui feignit de se sentir vexé. D’une voix claire, elle répondit qu’il se trompait lui-même et qu’elle avait eu raison de s’obstiner à écouter son cœur ; sa seule présence à ses côtés n’en était-elle pas la preuve la plus flagrante ?
Elle s’approcha alors et tenta une étreinte qu’il repoussa fermement. S’il avait pris le risque insensé de descendre de son piédestal, son unique motivation tenait à la ramener à la raison, rien d’autre, qu’elle ne se méprenne pas sur ses intentions qu’il jugeait aussi honnêtes que louables. En guise de conclusion, il finit par lâcher sur un ton sarcastique : « pourquoi pas une vie antérieure, tant que nous y sommes ! C’est de la pure folie… »
A ces mots, la jeune femme bondit et son visage pur sur lequel se reflétait la lune argentée, s’éclaira. C’était ça ! Comment n’y avait-elle pas songé elle-même ? Nul hasard, ni folie dans les poèmes fidèles qu’elle lui dédiait avec ferveur chaque soir. L’homme soupira en secouant la tête tristement : « vous êtes désespérante, comment vous faire entendre raison à la fin, vous le voyez bien, quel avenir pouvez-vous espérer en ma compagnie ? Je ne suis qu’un morceau de marbre mal vieilli, ne le voyez-vous donc pas ? »
La plus froide détermination se lisait maintenant sur les traits graves de la jeune femme. A son tour, elle secoua sa chevelure de geai et ne vit pas le regard de son compagnon briller à ce geste familier. Elle se mit à pleurer doucement, en silence, ce qui vainquit l’honnête homme plein de bonne volonté. Il tendit son bras en guise de consolation ; elle s’y agrippa, et cela enfin ses lèvres pourpres à celles, livides, de l’amant de son âme.

Le lever du soleil surprit le baiser éternel abolissant définitivement le temps pour les deux amants enfin réunis.

Le gardien, au petit jour, commença par s’effrayer de la disparition de la statue du parc et courut prévenir son chef qui découvrit, médusé, le couple de pierre enlacé sur le banc. Il fit venir les services municipaux qui prirent la journée pour sceller la statue des amoureux sur le socle solitaire.

Quant aux parents, ils ne reconnurent jamais leur fille dans l’amoureuse abandonnée dans les bras de son amant et espèrent toujours son retour.

On raconte encore que ce couple éternel vit chaque nuit leur amour magnifié par la lune et les étoiles qui entament un ballet pour les mettre en lumière.

On n’a jamais expliqué, en revanche, la liasse de papier que tient l’amoureuse dans sa main gauche, dans le dos de son amant de pierre…


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