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Le jeune cow-boy roux.

Publié le 11 août 2008 par Sophielucide

Il était une fois un petit garçon, le septième de la famille mais le premier de son sexe. Sa naissance combla ses parents et ses six sœurs qui se mirent à le chérir de façon exagérée, cédant au moindre de ses caprices. Son père en particulier, fou de joie, se mit en tête de faire de son héritier un parfait cavalier et chasseur émérite. Aussi dès sa naissance, fut-il accueilli au sein de la communauté par les tirs effrénés des carabines de tous les mâles du village encerclant la chaumière de cette famille rustique.

Le village où le garçon naquit se situait dans une vallée cernée par la forêt, immense, qui propageait ses reflets émeraude dans toute la contrée. Sept collines et autant de lacs conféraient à ces lieux un souffle de magie et d’air pur vivifiant. D’ailleurs l’enfant se développa rapidement et la couleur de ses yeux qui avait attiré les femmes du village ne changea pas : aussi verte que les conifères mais changeant au gré de ses humeurs : de vert anis lorsqu’il était comblé au vert de gris dans ses moments de colère, en passant par la pistache s’il se sentait confus ou encore la prairie lorsqu’il se trouvait triste. Sa chevelure carotte savait mettre en relief les teintes variées de cette couleur qu’il y a peu encore on apparentait au diable en personne. On l’avait nommé Jimi en l’honneur du célèbre guitariste né pas très loin d’ici et sa première décennie se déroula sans problème, dans la simplicité prodiguée par la nature alentour alimentée par l’amour généreux de ses parents et sœurs ainées. Dès l’âge de dix ans, il acquit sa première jument et passait ses journées à chevaucher allégrement aux côtés de son père. Le jeune Jimi avait si fière allure sur sa pouliche que partout, on l’appelait le Jeune Cow-boy Roux.

Le jour de son quatorzième anniversaire, son père, ayant économisé durant toute l’année lui offrit sa première Winchester. « Mon fils, lui dit-il en caressant l’engin, j’ai choisi pour toi le nec plus ultra ! Admire ce XR3, le fusil le plus rapide du monde : cinq cartouches tirées en moins d’une seconde ! »
Le regard de l’adolescent à peine pubère brilla de mille feux lorsqu’il s’empara de ce petit bijou. D’abord étonné par son étonnante légèreté, il écouta son père avec attention tandis que ce dernier lui détaillait avec gourmandise le canon de calibre 12 magnum, chambré en 76 mm, ainsi que la réduction significative du recul, adapté à la carrure encore frêle du garçon. Le fusil passa de main en main, et même les grandes sœurs se mirent à admirer sa bonne mise en main, sa vivacité, son design, en somme la beauté de cette merveille technologique. Puis le père retira l’arme des mains des jeunes femmes pour la remettre solennellement entre celles de son fils unique dont il claqua le dos en signe d’adoubement.
« Tu es un homme, Jimi. Va te coucher à présent. Demain, à l’aube, nous rejoindrons grand père pour ta première chasse à l’ours qui vient de débuter. »

La nuit de Jimi fut aussi longue qu’agitée, peuplée de rêves dans lesquels il croisait toutes sortes d’animaux fabuleux qu’il maîtrisait grâce à son arme magique qui le rendait invincible.
A l’aube, quelle ne fut pas sa déception en trouvant son père cloué au lit par une fièvre subite. Entre deux râles, il l’autorisa à se rendre seul au point de rencontre fixé avec le grand-père au pied de la troisième vallée ; il l’enjoignit cependant de ne pas quitter le sentier balisé et ne se servir de son fusil que sous contrôle du patriarche. Jimi sella sa jument, et s’en alla pour le périple tant attendu.

Ivre de cette liberté inédite que sublimait le vent léger dans sa tignasse rousse, il partit au galop. On était au début de l’automne, les érables majestueux entamaient la mue de leur feuillage qui virait au pourpre, les sapins conservaient le vert immémorial de leurs aiguilles qu’une lumière tendrement dorée adoucissait encore. De temps à autres, Jimi caressait la crosse de son nouveau membre, pour se l’approprier ou pour l’apprivoiser. A sa première pause, une heure environ après son départ, il mit pied et terre, fit reposer sa jument à l’ombre d’un chêne au bord d’un ruisseau. Sans hésiter, il sortit la Winchester de son étui pour l’admirer encore. Puis il la mit en joue et, clignant de l’œil, rechercha alentour une proie à tirer.
Il gâcha ses trois premières balles sur un adorable petit écureuil décortiquant un gland au pied d’un chêne plusieurs fois centenaires. Jimi s’était-il senti agressé par ce jeune animal au pelage rappelant sa chevelure ? Nul ne saurait le dire, mais il s’acharna sur son inoffensive proie en finissant par la piétiner rageusement. La vérité est qu’il n’avait tiré aucune joie de cet acte dont il rêvait depuis si longtemps. S’adossant au vieil arbre, il pleura longuement sans lâcher son arme qu’il fixait sans comprendre ce qui lui arrivait. Il se remémorait l’état de jubilation que son père racontait après ses jours de chasse. Depuis toujours, il enviait secrètement cette excitation dont il se sentait privé maintenant. Il se sentait floué, on lui avait menti. Puis, séchant ses larmes il comprit qu’il ne devait user de son arme qu’à des fins bien plus nobles que l’acte cruel dont il venait de se rendre coupable. Il se signa brièvement et décida d’enterrer l’innocent animal. Puis il se rassura en se disant qu’aucun témoin ne viendrait lui rappeler son geste condamnable. Il reprit son chemin, jetant un dernier regard alentours, pour vérifier qu’il ne laissait derrière lui aucune trace de son passage.

Les deux heures de chevauchée qui suivirent avait suffi au jeune garçon pour oublier ce malheureux épisode. Faisant corps avec sa jument, il se grisait de la beauté du paysage qui ne cessait de se renouveler avec le jour qui montait. Lorsque le soleil fut au zénith, il fit une pause afin de prendre le déjeuner que sa mère avait préparé pour lui. Il avait à nouveau choisi un bord de rivière bordé de jeunes bouleaux. Il déjeuna copieusement, puis, son fusil en bandoulière, il explora le site pendant que sa monture se désaltérait tranquillement et broutait l’herbe tendre. Lorsque je jeune garçon vit planer au dessus de sa tête un aigle royal, il s’empara de sa Winchester dans un réflexe qui l’étonna lui-même. Le silence total l’aida dans sa concentration et il abattit du premier coup le majestueux rapace. Il dut marcher longtemps avant de retrouver le cadavre de l’animal. Mais là encore, aucune joie, pas l’ombre d’une satisfaction. Le dégoût remplaça même sa déception extrême lorsqu’il aperçut un couple de vautours s’acharnant sur le corps sans âme de l’empereur du ciel. Jimi tira encore pour éloigner les vautours qui n’avaient peur de rien et s’avançant prudemment, il se baissa et arracha une plume de l’aigle qu’il se promit de conserver pour honorer son souvenir.

Il consacra le dernier tiers de sa chevauchée à réfléchir encore à son geste criminel car il n’ignorait pas qu’il venait de tuer une espèce protégée. Il avait enfreint la loi et c’était là le seul motif dont il puisse tirer un quelconque orgueil, qu’il jugeait déplacé. Il grimaça en pensant que plus jeune il rêvait de devenir shérif. Il lui restait d’après les dires de son père une bonne heure de route avant de rejoindre son grand’ père à qui il se décida à confier ses pêchers. Il comptait sur le vieil homme sage pour trouver les mots adéquats pour le remettre en selle. Il ne manquerait certes pas de lui faire la morale, mais il finirait comme toujours par pardonner l’adolescent irresponsable. Il n’avait aucun doute là-dessus. Que ne lui avait-t-on pardonné depuis qu’il était né ? Pas grand-chose à vrai dire, on prévenait au contraire le moindre de ses désirs et rien ne lui semblait interdit. D’où lui venaient alors ses sombres pensées ? Pourquoi se jugeait-il lui-même si durement au point de frissonner alors que le soleil brillait au dessus de sa tête ?

Alors qu’il était sur le point d’atteindre le pied de la colline où son grand’ père était censé l’attendre, il entendit un grognement, suivi d’un cri de douleur innommable. Il partit au galop, et arriva à temps pour deviner que l’homme évanoui aux pieds d’un ours brun était bel et bien son aïeul. Mettant pied à terre, il s’empara de son fusil, s’approcha le plus près possible de l’animal qui semblait si débonnaire à présent, goûtant aux reliefs d’un déjeuner qui l’avait attiré. « Cette fois-ci, se dit le jeune garçon, je suis dans mon bon droit ; cet ours féroce s’est attaqué à un être humain, qui se trouve de surcroît être de ma propre famille. » Il tira à bout portant. Il eut encore le temps de lire l’étonnement dans l’œil placide de l’ursidé, avant de reculer pour tirer à nouveau tandis que l’animal se dressait sur ses deux pattes arrière. Lorsque le garçon appuya sur la gâchette, il s’aperçut qu’il ne disposait plus de cartouches dans le magasin de sa Winchester. N’ayant pas rechargé son arme, il ne lui restait plus qu’à prendre les jambes à son cou tandis que sa jument, prise de panique avait pris la direction opposée.

Lorsque le lendemain on trouva les corps inanimés du vieillard et du jeune garçon, une battue fut organisée et le corps d’une dizaine d’ours bruns fut exposé sur le parvis de la petite église du village, encerclant les cercueils des deux pauvres victimes.

MORALITÉ
On voit ici que de jeunes gens,
Surtout de jeunes garçons
Beaux, bien faits, ne tirent aucune leçon,
Lorsqu’ils ne rêvent qu’armement…
Et que c’est chose bien étrange,
Tirer sur tout ce qui bouge les démange.

Leurs pères feraient mieux de leur apprendre A quel point la vie est précieuse
Que si notre âme est silencieuse
Un cœur animal ou humain reste tendre…

Merci à Charles Perrault et Claude Bertout…


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