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À la mémoire d'Yves Thomas / Hommage de Sylvie Fabre G.

Publié le 13 juin 2022 par Angèle Paoli
À la mémoire d'Yves Thomas / Hommage de Sylvie Fabre G.

Photo : Guidu Antonietti di Cinarca

Chacun de nous dans le flux de la vie glisse vers l'inachevé de sa propre fin. Yves Thomas et Angèle Paoli ont su ces derniers mois que le printemps ne repousserait pas une nouvelle fois la mort, qu'ils se tenaient désormais sur le seuil. Pour lui, au large déjà, attendait l'inconnu. Elle demeurerait sur le rivage où s'ancre l'adieu et s'apprivoise l'absence. Mais le Cap Corse dont ils avaient fait ensemble leur terre d'élection les garde maintenant, mort et vivante, dans sa lumière. Maître d'œuvre d'une revue, imaginée dès l'origine par et avec Angèle, sa femme qui en est la plume et l'âme, auquel s'est joint Guidu Antonietti di Cinarca leur ami architecte et photographe, il a mis toute son expérience passée d'éditeur, sa grande culture et son goût du partage au service de la poésie singulière et universelle. Grâce à eux,
En lutte contre un destin qui l'a confronté trop tôt à la maladie et qui a entamé ses jours en lui imposant douleur physique et morale, Yves a résisté longtemps avec un courage admirable. Le mal qui le frappait ne l'a pas conduit au repli et à la désespérance mais à cultiver l'ouverture aux autres et la foi en la beauté. Refusant la plainte, il a fait confiance aux forces de l'esprit et choisi un recommencement. Homme fier, attentif et généreux, il nous laisse ainsi le fruit de ces dix-sept années où, prisonnier de son corps, il a su, au cœur d'une œuvre commune, créer sa liberté par l'intelligence du faire, du cœur et de la pensée.
Terres de femmes est aujourd'hui un haut lieu bruissant de voix, un arbre fleuri de langues, d'images et d'écritures venues d'ici et d'ailleurs, qui traverse le temps. Leur revue témoigne d'une passion ramifiée qui a eu pour vocation de faire résonner " la parole interminable " qui nous réinvente malgré nos blessures et l'état du monde.

Né du " oui " à la rencontre, à la littérature et à l'art qui accompagnent et transcendent la vie,
Terres de femmes où les hommes sont pleinement présents, est depuis 2004 l'exemple d'une aventure où se lit l'absolu réel qui unit l'homme à la création, le vécu au rêvé, l'autre à soi. Comment alors célébrer ce don qui nous a été offert dans son exigence et sa gratuité, comment dire merci à l'ami qui a su accomplir sa tâche humaine, et qui aujourd'hui n'est plus ? Peut-être en retournant à la source intarissable de la vie et d'une Poésie qu'Yves Thomas a tant aimée et servie.

Ce don d'incertitude et d'émerveillement appelé
Vie, ton désir avec obstination en traque les bienfaits
mais la nébuleuse des origines et des croyances
sa lente mutation ses obscurs paradigmes,
nos divagations en portent à l'excès les contraires :
le mal tape si fort à nos lèvres à nos cœurs drapés
de sauvageries indomptées. Agneau serpent oiseau,
animaux métaphysiques, nous tendent un miroir
pour le meilleur et pour le pire. Tu y lis une menue
révélation à l'énigme sans fond que nous sommes.

Tant de départs si peu d'avancées ou d'issues,
rescapés d'un instant nous nous arrimons
à une montagne de petites éternités où coule l'adieu.
Le secret intouchable des cimes qui butent sur le bleu
nous précède nous traverse et nous suit. Il s'agrippe
à tes mains à tes mots alpinistes qui ne savent rien
ni de l'avant ni de l'après, seulement le col, bouche bée
d'un destin en sa concentration : une vie reçue rendue.
Dans l'entre-deux, est-ce le milan siffleur ou bien
le vent leveur de cendre qui choisit ta destination ?
...

Vivants nous ne sommes jamais très loin des morts,
nous foulons leurs brisées, et quand tourne l'hélice
déchirante de la perte, que monte la plainte d'amour
toujours inaccompli, tu lis l'enfance foudroyée et
la déploration d'être né - fini sachant l'infini.
A tes lèvres montent les vers de Leopardi et ton vœu
de te tenir debout dans la mélancolie d'une âme
qui sait tout de sa nuit, dans l'illimité d'un chant
qui jamais ne renonce à remémorer la beauté sensible
de la terre ni à pousser la porte dérobée de son ciel.*

*Poèmes extraits de Ce choix en mémoire d' Nos voix persistent dans le noir, de Yves Thomas, époux d' Angèle Paoli et webmaster de la revue Sylvie Fabre G. (L'Herbe qui tremble, 2021).
Terres de femmesdécédé le 13 juin 2021 après des années de lutte contre la sclérose en plaques.

Sylvie Fabre G., Revue Europe, revue littéraire mensuelle, novembre-décembre 2021,pp.370-371

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À la mémoire d'Yves Thomas / Hommage de Sylvie Fabre G.

Yves et Guidu à Canari, Cap Corse. Août 2015.
Photo : Emmanuelle Thomas

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À la mémoire d'Yves Thomas / Hommage de Sylvie Fabre G.

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