Que reste-t-il de l'amour quand l'amour, à l'évidence, n'est plus ? Tellement de choses qu'il est impossible de les énumérer. Tout un monde.
Continue le mouvement qui l'initia.
N'a pas de fin l'essentiel.
L'amour est bien plus que la prédation animale, si attentive, si curieuse, si avide, si passionnée, si envoûtante, d'un corps que l'on ne connaît pas.
Séjourne tellement plus que le côtoiement tellement bouleversant, odoriférant, étrange, stupéfiant, que la présence physique fait naître.
Même les plantes ajoutent au pollen le nectar, au nectar le parfum, au parfum la couleur - pour retenir ce qui les aide à ressusciter.
Alors, sublimement, subitement, les plantes, comme enivrées de leurs propres splendeurs, s'ajoutent les animaux, les papillons, les oiseaux- pour ajouter à l'érection le mouvement, à la couleur le chant, et au chant la mémoire.
Enfin à la mémoire la nostalgie, saison après saison, dans la roue des saisons, qui n'est rien d'autre que le désir du désir qui fait le tour du temps dans la lumière céleste.
La robe s'ôte par le haut. Elle est aussi une grande fleur qui tout à coup se plisse. Il la roule sous les doigts, il l'exhausse. Soudain il la tire un peu vers lui. Le tissu chevauche alors les deux seins ronds et pleins qu'il découvre sans qu'il les touche. Il l'élève au-dessus du visage. Il l'érige à bout de bras au-dessus du chignon qu'il ne veut déformer.
Maintenant la robe est comme un dais au-dessus de ce corps si long, si pâle.
C'est un grand cercle de soie bleue comme celui qui entoure l'eau de la terre dans l'espace noir.
En l'air, quand toute l'immense robe était encore en l'air, tandis qu'il la tenait au bout de ses deux bras en l'air, elle formait une immense auréole sombre au-dessus du corps nu qui devenait de plus en plus lumineux.
De même que les chats dans l'aube sautent avec la même délicieuse adresse sur la table, posent délicatement la patte sur le dos de la main pour réclamer à manger, lancent leur minuscule chanfrein, cognent violemment leur petit front si dur contre le vieux front osseux et nu- et encre plus dur- de celui qui s'attache à les nourrir avant de se nourrir,
exigeant un peu de temps, un peu de caresse douce,
quelque chose comme de l'amour certainement,
car l'amour est le contact et c'est tout, et c'est par excellence,
et il ne faut pas chercher plus loin que le contact silencieux par excellence qui définit l'amour pour définir l'amour,
de même que les chats insistent pour qu'on empoisonne leur fourrure au-dessus de leur cou, pour qu'on les enlève alors qu'ils gigotent et trépignent, pour qu'on les ravisse au-dessus de l'eau de la rivière afin de les protéger de l'élément si étrange et si glacé et si mouvant du fleuve, juste avant de les placer sur le bois tout sec et tout chaud de la barque,
de même qu'ils haussent déjà les poils vers la paume ouverte de la main qui s'avance sur eux chaque jour se termine et qu'ils souhaitent qu'on les laisse s'acheminer vers les oreillers et la chambre à la condition qu'on la laisse obscure et aussi, si possible, silencieuse,
de même que les chevaux, plus lentement, après qu'ils ont tourné leur grande chevelure, après qu'ils ont offert leur superbe visage, tendent l'encolure vers celle qu'ils aiment,
ou bien leur toupet, ou bien leur naseau, leur belle lèvre charnue,
réclamant un mot de réconfort, une tape légère sur la joue, la ganache, une pression aussi,
un long regard, un merveilleux regard, un infini regard,
de même mon front touchait la peau lisse de ton sein, mes lèvres sèches s'y posaient doucement, rêvaient de s'y entrouvrir, de mouiller l'embout de chair grumeleuse, de tirer, de soutirer, de traire lentement la vie possible et fade, tiède, blême et extraordinaire. "
Pascal Quignard, " La Tempête " in L'Amour la Mer, Éditions Gallimard, 2021, pp.238,239,240,241.
Voire une note de lecture sur Pascal Quignard par Angèle Paoli sur → Tdf