Devant la maison, quelques traces encore du derecho. Derrière, le vert des feuilles omniprésent. Les rares framboises rouges contrastent, mais s’harmonisent au décor. Elles sentent l’été, elles disent juillet.
J’ai 8 ans, j’ai 13 ans, j’ai 16 ans, j’ai 20 ans, je marche dans le chemin Caron qui mène à la baie de l'Ours (lac Simon), à la recherche de framboisiers.
Le 16 juillet, ce sera la fête de ma mère. Je lui offrirai son fruit préféré. Certaines années, une poignée tout au plus. Je comblerai par un bouquet d’épervières et de marguerites.
Ma mère aurait eu 98 ans cette année. Elle est morte il y a dix ans. Et pourtant, en voyant l'unique framboise rouge (que le geai bleu s’est empressé de manger), c’est elle qui m’est tout de suite venue à l’esprit.
Est-il vrai qu’en vieillissant ce sont les événements de notre enfance qui surgissent le plus souvent? Où est-ce moi qui exalte ma mémoire? Ce moi qui pense tout le temps, ce moi qui cultive les associations d’idées?
Ce moi qui, ce matin, en lisant Blonde de Joyce Carol Oates, revoit encore sa mère.
« Blonde n’est pas une biographie de Marilyn Monroe. Blonde est un roman sur ma mère, sur la vôtre, sur toutes nos mères un peu spéciales. »
Justine Lévy dans la préface de BlondeJe me rappelle de l’endroit où j’étais à l’annonce de la mort de Marilyn Monroe. En août 1962, nous sommes en Europe, à Paris je crois, sans doute attablés à un café terrasse, après avoir acheté des livres dans une librairie (mon frère un Tintin, et moi, un livre d’Enid Blyton sûrement). Après un long et sombre « Ah non! », mon père passe un journal à ma mère. Celle-ci, moins expressive que mon père, fut quand même surprise de voir que l’actrice avait à peine deux ans de moins qu’elle. Ils sont un peu tristes, je le sens. Je leur demande pourquoi.
J’ai douze ans, et j’aime bien que mes parents me racontent leur première rencontre. C'était à Saint-Eustache-sur-le-lac, dans une salle de cinéma. Ils avaient 16 et 18 ans. Le cinéma, c’était leur jeunesse, leurs sorties, leurs étés, leurs amours. La mort de Marilyn Monroe, ce devait signifier la fin de quelque chose pour eux. Comme toutes les morts.
Comme il est trop tôt pour cueillir des framboises, je retourne à la lecture de Blonde... Mille pages quand même, je risque de m’interrompre pour aller les ramasser ces framboises si les geais bleus veulent bien m’en laisser. Sinon, j’aurai mes souvenirs.
Et vous, que vous rappelle le temps des framboises... ou les années soixante?