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Lydia Padellec / Cicatrice de l'Avant-jour (Lecture de Marie-Hélène Prouteau)

Publié le 27 juillet 2022 par Angèle Paoli

 Gravures de Marie Alloy
éditions Al Manar, 2018

      Lecture de Marie-Hélène Prouteau

                                                                                                         

Padellec

       

                    

                                                                                                                                                                                                                                                                       

Lydia Padellec est une artiste d’une grande fécondité, au double visage de poète et de plasticienne. Sa poésie est publiée dans plusieurs maisons d’éditions, Al Manar, éditions Henry, Le Petit Véhicule, La Porte, L’Amandier, Le Bruit des autres, Au Salvart, Rafaël de Surtis et une trentaine de revues et d’anthologies en France et à l’étranger. Lydia Padellec a à son actif une quinzaine de recueils de poésie qui lui ont donné, pour certains, l’opportunité de travailler avec des plasticiennes, telles Marie Alloy et Catherine Sourdillon. Elle a reçu de nombreux prix, dont le Prix Xavier Grall 2017 pour l’ensemble de son œuvre et pour son engagement en poésie. Elle a également créé et animé les éditions de la Lune bleue consacrées aux poètes et artistes contemporains. Elle organise aussi des rencontres poétiques. En tant que plasticienne, elle travaille à des livres d’artistes et à des livres pauvres dans la collection de Daniel Leuwers.


Cicatrice de l’Avant-jour, publié par les éditions Al Manar, est né du bouleversement provoqué par les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, jamais nommés dans le recueil. Nous ignorons tout de celle qui parle, ou se parle. Sinon qu’elle est dans l’obscurité de sa maison, non loin de la mer et que, par empathie, elle va se projeter dans la nuit parisienne fatidique. Il ne s’agit donc pas de la voix d’un témoin. L’horreur se laissera plutôt deviner, en sourdine, de façon oblique, dans le retentissement d’une conscience bouleversée par l’événement. Ce retentissement, « déplacé » vers la double ligne de force de la hantise de la nuit et de la blessure-cicatrice qui mord au cœur donne à lire une écriture aussi puissante que singulière.


Le recueil est très construit. Cinq parties le composent, avec des exergues et des adresses à plusieurs poètes d’hier et d’aujourd’hui : « Dans la nuit profonde du jour », « Chant de la dernière nuit », « Cicatrice de l’Avant-jour », « Nuit de sang », « La brûlure des cendres ». Ce qui frappe, aussi bien dans les titres que dans presque chacun des cinquante poèmes, c’est la présence quasi obsédante de la nuit. Excepté le poème de la première page qui est une ouverture radieuse - le bleu et la mer baignant le souvenir d’enfance heureux d’une petite fille.
Nous pénétrons dans un paysage intérieur nocturne qui est un flux de conscience oscillant entre réminiscences d’enfance et impressions actuelles. Dans le noir, le cri, l’écoute sont rendus plus tangibles. Nous suivons les impressions d’une conscience de plain-pied avec le lieu, la mer, le varech, un insecte. Mais s’installe dans les poèmes un mal-être qui va petit à petit aller grandissant. De curieuses dissonances apparaissent dont nous comprendrons plus tard le sens : « le chemin semé /de ronces et de doutes », les « chambres fermées à clé » - y aurait-il une menace ? - « un oiseau figé /dans le ciel noir/fixe l’horizon/de son œil vitreux », « et la morsure du monstre ».
Les affres du négatif semblent gagner le monde alentour. Le silence, le cri dans la nuit, la peur sont là. La nuit, réitérative de poème en poème, ponctue cette expérience intérieure d’une charge émotionnelle forte :

« Rideaux d’acier
baissés – la respiration
suspendue
aux cris funestes
des sirènes
où es-tu mon amour
la nuit tisse sa toile »

Matrice du recueil, la nuit est une sorte de métaphore obsédante qui le traverse de part en part. Elle suscite tout un réseau d’images, certaines superbes, telles : « je tremble de nuit/ avec l’éclat du sable/pour silence ».
Ou bien encore : « l’enfant muet/ confiné/dans l’ambre ». Nous comprenons peu à peu que c’est la nuit de l’attentat qui gagne tout ce qui remue dans le noir, ce qui bouge dans le mouvement terrible de l’événement ». Cette nuit tragique a envahi tout le champ de la conscience de la poète.
Moment privilégié, la nuit unifie en un présent de l’indicatif intemporel plusieurs temporalités, celle des souvenirs d’enfance, celle du présent de la poète en sa maison et celle, simultanée, de la projection dans la nuit d’horreur parisienne. L’angoisse de cette nuit, nous l’avons tous vécue en suivant les informations, impliqués à des titres divers. À cet égard, le rendez-vous amoureux, imaginé dans un des cafés parisiens touchés par les attentats porte notre angoisse à son acmé en rythmant magnifiquement le recueil par ce chant lyrique repris en refrain : « où es-tu mon amour ? ».
Lydia Padellec nous donne à lire un remarquable brassement des temporalités dans une subjectivité blessée. Cela nous fait regarder autrement, après coup, les peurs antérieures de l’enfant, emplies de monstres. Car cette présence nocturne centrale vient interroger ce que la poète appelle « la part de nuit / en nous en l’autre ».
La poète revient aux lointains de l’enfance et du conte. La « petite fille sans allumettes » d’Andersen, nommée en ces vers, ramène à l’innocence et à la conscience naïve de l’enfance qui s’en sont allées avec l’hirondelle :

« Son chant s’est éteint
Et l’innocence perdue ».

Dans cette remontée à rebours depuis l’aujourd’hui jusqu’à l’enfance et ses hantises nocturnes, tout se passe comme si l’énormité de l’événement avait perverti la syntaxe temporelle. Effet d’un onirisme puissant, le paysage mental glisse insensiblement de la maison près de la mer à « Paris {qui| saigne ». Les gravures de Marie Alloy qui est, elle aussi, peintre, éditrice et poète, entrent en parfaite correspondance avec le mouvement intérieur de Lydia Padellec. Elles passent de couleurs bleu et noir de la page de couverture au rouge sang et au gris pour les gravures de chacune des cinq parties, associant des linéaments et des décharges d’espace de plus en plus violentes.
Lydia Padellec déplace et brouille les repères et les lieux vers l’autre cadre géographique, celui de Paris. Les signes, tels « la musique s’est tue », « la nuit/qui d’un coup vif/s’abat sur la ville », se mêlent pour dire le pire. Le pire, avec ces attentats de Paris 2015, ne serait-ce pas l’irruption du tragique de l’Histoire qui percute ici la conscience ? Le pire, ne serait-ce pas que le mal existe et qu’il nous plonge dans la sidération ?

Le vers « Capitale de la douleur », avec la reprise explicite du titre de Paul Eluard convoquant la seconde guerre et son cortège d’horreurs, semble le laisser entendre. C’est comme si le poème avait pour but de cerner la blessure et de conjurer quelque chose qui alarme au plus profond. « La cicatrice » - le mot revient de façon récurrente- sera-t-elle possible ? La douleur semble gravée à vif, à l’image de ce qui est imprimé sur le cuivre de la graveuse Marie Alloy. D’étranges signes troublent le lecteur. Ainsi, « ta camisole ». Ainsi, la « solitude » extrême de cette enfant du silence qui fait penser à  L’Enfant de la haute mer de Jules Supervielle. Et aussi ces mystérieux vers qui laissent planer l’incertitude :


« tu ignores d’où ce mal
te vient te fouille
à l’intérieur »

Dans la dernière partie « La Brûlure des cendres », les verbes au futur d’« Aube sanglante-Chanson pour A. » et de l’avant-dernier poème laissent entendre le surgissement possible d’un avenir. La vie reprend, en dépit de tout. Demeurent pourtant toutes les questions qui nous assaillent lorsque l’on se heurte au monstrueux :

« ne sommes-nous pas
abandonnés
au fond d’un abîme
brûlant et faux
apeurés nous broyons
la nuit
en quête de nous-mêmes »

Ce recueil de Lydia Padellec fait résonner fortement en nous le vers de René Char : « Dans les poèmes aussi certains mots sont là qui mémorisent les entailles ».

Cicatrice

Lydia Padellec  / Cicatrice de l'Avant-jour, éditions Al Manar, 2018

Voir le wikipedia de Marie Alloy 


LYDIA PADELLEC

Lydia Padellec portrait

Source
■ Lydia Padellec
sur Terres de femmes ▼
→ [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] (extraits de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]
→ 
Dans la nuit profonde du jour (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)
→ 
Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
→ 
« Île muette » (extrait de Mélancolie des embruns)
→ (dans l’anthologie Terres de femmes) 
La mère [extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]
■ Voir aussi ▼
→ 
Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
→ (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) 
une notice bio-bibliographique (+ des extraits)
→ 
le site des éditions Lunatique
le site des éditions Unicité


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