Note: j'ai eu envie de proposer deux "Fin" à cette histoire, voici la première, la deuxième sera pour demain.
Prête à disparaître de la surface
de la terre mais surtout du restaurant où ils mangeaient, elle n’avait pas osé
lever les yeux de son assiette attendant le verdict. Comme son silence se
prolongeait, elle avait relevé la tête pour plonger son regard dans le sien et
ce qu’elle y lisait l’avait comblée : il partageait ses sentiments ! Le
problème, c’est qu’ils étaient mariés tous les deux. Sa femme était malade, il
ne voulait pas l’abandonner, elle comprenait. Ne désirant pas vivre dans
l’ombre, ils s’étaient résolus à ne plus se voir pour éviter la tentation, cela
avait été aussi simple et aussi triste que ça. Les évènements les séparaient à
nouveau. Plus d’une fois, elle avait été tentée de reprendre contact, plusieurs
fois elle avait erré près de son bureau mais sans jamais franchir le pas.
Quand il avait frappé à sa porte
six mois auparavant, elle n’avait pas cru qu’il était réel. Il avait vieilli,
ses cheveux s’étaient raréfiés mais il avait toujours ce charme qui la faisait
craquer. Il était entré pour ne plus repartir, il était libre, elle aussi, ils
avaient perdu assez de temps et avait plein de choses à rattraper. Le peu
d’années qui leur restaient, ils comptaient en profiter un maximum. Bon, ça
c’était la théorie, restait la pratique et son manque de courage face à ses
enfants. Pourquoi n’était-elle pas capable de leur dire qu’elle aimait
Olivier ? Si elle tardait, elle allait le perdre, sa patience était à
bout, elle le sentait mais là, l’horloge biologique ne lui laisserait pas une
autre chance, donc il fallait qu’elle ose. Toute sa vie, elle s’était
préoccupée des autres et des convenances, à 65 ans, elle pouvait se donner le
droit de tout envoyer balader, non ? Et si pour une fois, elle ne pensait
qu’à elle, à son droit d’aimer un homme autre que le père de ses enfants ?
Elle entre dans la cuisine, il
est en train de préparer le souper. Il lui sourit et lui offre un verre de
Chardonnay, il sait qu’elle adore ce goût fruité même si lui préfère des blancs
plus secs. Ils trinquent les yeux dans les yeux.
- Je ne vais pas attendre Noël
pour leur parler de nous, demain j’invite Sophie et Marc au restaurant et je
vais leur expliquer que je vais partir à l’aventure avec toi.
Il pose son verre et la prend par
la taille, la regardant intensément.
- Tu es d’accord pour ce tour d’Europe
en camping-car, rien que nous deux, à l’aventure ? Tu n’as pas peur de la
réaction de tes enfants ?
- Je n’ai jamais rien fait de
tel, j’ai toujours été une bourgeoise coincée qui agissait comme on attendait
d’elle qu’elle agisse, j’ai été une gentille fille, une gentille maman, une
gentille épouse, une gentille collègue, et si j’envoyais tout valdinguer pour
être enfin moi ! A mon âge, qu’ai-je à perdre ? Un jour, quelqu’un m’a dit que j’étais une bohème
refoulée, et si je la découvrais au grand jour, cette femme bohème ? Et tant
pis pour ce que pensent les autres.
Bien entendu, ses enfants la traitèrent de folle et essayèrent de la persuader de renoncer à cette épopée qui n’était plus de son âge. Finalement, voyant qu’il ne servait à rien d’insister, ils avaient renoncé à la dissuader et demandé à rencontrer l’homme qui rendait leur mère cinglée. Sophie, méfiante au départ, était tombée sous le charme d’Olivier et ses enfants avaient adopté ce nouveau grand-père qui les emmenaient découvrir la nature en les ramenant crottés à souhait. Marc gardait une attitude réservée mais ne s’opposait plus à leur projet. Olivier était arrivé un matin avec un bus dernier cri où tout le confort était à portée de main. On a beau être aventuriers, le confort était un plus à ne pas négliger si on en avait les moyens lui avait-il dit le plus sérieusement du monde. Des bicyclettes accrochées à l’arrière, ils étaient partis en septembre, direction l’Italie, son Chianti, ses pâtes et ses gelati.