Frédéric Jacques Temple | Vent debout

Ph. Angèle Paoli

VENT DEBOUT

Étrave d'écume embavée, j'ai vu s'ouvrir les algues ballerines,
Où songeais-tu, mon souvenir, pendant ma folle chevauchée,
J'avais ce trois-mâts pour monture, aux voiles peintes de tes yeux.
Rien n'est plus doux, rien, que le ciel qui se raidit
autour des lèvres, quand glissent les silences mous des étoiles à l'aube.
Où songeais-tu...
La mer chaude...
Où sont noyées les palmes insolentes dans le mirage flou des rades...
Etrave d'écume embavée, sur mon trois-mâts j'avais tes prunelles
pour guides.
Îles, îles, mes sœurs dans le silence, pourquoi m'avoir laissé voguer.
J'avais vécu dans vos sillages vos paresses incomparables et gardé
de votre parure une nacre d'arc-en-ciel.
Îles, îles, si vous saviez l'amour des relais d'aventures.
Mon souvenir, où songeais-tu à l'heure des vagabondages.
L'ocre d'un vase...
Madonnina du Quattrocento, aux lèvres d'ivoire rose, vision unique
vous étiez fille romaine aux parfums musqués.
Mon souvenir, où songeais-tu, à l'heure des aventures, quand le
soleil fumait parmi les nénuphars.
Poissons dorés, ciselures magiques, bulles d'air vermeilles dans les
jours tièdes, vous avez vu mes bras maigres parmi les fraîches et
claires eaux que, par un mystérieux et divin pouvoir je respec-
tais comme votre royaume.
Où songeais-tu, mon souvenir, à l'heure des soirs farouches.

Et tout n'était à perte de vue qu'ombres de caravanes.
Et tout n'était que refrains d'aventures.

Frédéric Jacques Temple, Seul à bord, Extrait du fac-similé de l'édition originale, publiée à compte d'auteur en 1945 in Frédéric Jacques Temple : les cent ans, Actes de la journée d'étude de l'université Paul-Valéry Montpellier 3, réunis par Pierre-Marie Héron & Marie Joqueviel-Bourjea, Éditions Domens/ Éditions Méridianes, 2022, p.39.

FRÉDÉRIC JACQUES TEMPLE

Ph. © Pierre Bolszak
Source
■ Frédéric Jacques Temple
sur Terres de femmes (1921-2020)

→ Mai 2011 | Frédéric Jacques Temple, De la musique avant toute chose (extrait de Divagabondages)
→ Un clou pour voyager (extrait de Par le sextant du soleil)
→ Méditerranée (poème extrait de Phares, balises et feux brefs)
→ La Chasse infinie et autres poèmes, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 548, 2020

→ (sur le site des éditions Gallimard) la fiche de l'éditeur sur La Chasse infinie
→ (sur ActuaLitté) Temple, la poésie partie en infinie chasse de rencontres
→ (sur Terres de femmes) 9 novembre 1972 | Prix Goncourt pour L'Épervier de Maheux de Jean Carrière