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Au plus-que-présent

Publié le 31 octobre 2022 par Jlk
275563724_10228600609387045_5459594377421553790_n.jpg(Le Temps accordé, Lectures du monde 2021-2022) RÉSOLUTION. – Il est un peu moins de huit heures du matin, je suis couché dans notre grand lit sur hautes pattes de palissandre duquel Snoopy n’arrive plus à sauter tout seul, face au portrait de Lady L. par Omcikous – elle me regarde de son air un peu mélancolique -, et je me dis, j’écris à l’instant que je vais essayer ces prochains jours de faire, en parallèle, le récit de ce que nous avons vécu en décembre 2021, à la veille et au lendemain de la mort de ma bonne amie, et celui de ce que je vis aujourd’hui, alors qu’elle reste si présente et que je m’apprête à lui rendre hommage en présentant ses peintures à nos amis. Or je voudrais que ce double récit fût dénué de fioritures et de toute recherche trop littéraire. (À la Maison bleue, ce dimanche 30 octobre 2022) DE L’HONNÊTETÉ. - Mon souci sera, dans ce récit diachronique, de tendre à la plus grande honnêteté possible, car l’absolue fidélité de toute transcription verbale reste impossible, relevant même du leurre.X. veut « tout dire », mais ce « tout » reste un vœu dans la mesure où toute relation narrative n’en est qu’une tranche ou qu’un aspect momentané, et cette limite se situe bien au-delà de la gêne sociale ou de la pudeur intime : aux limites même de la communication.Ted (surnom fictif) me disait, lisant quelques pages de mes carnets il y a plus de quarante ans – et nous en avions à peine plus de trente, - qu’il aurait aimé gratter leurs pages afin de voir ce qu’il y avait sous mes trop jolies formules, et je pourrais me le recommander aujourd’hui encore : gratter les mots jusqu’à l’os.Le modèle alors : non pas le Jouhandeau des Journaliers, qui me séduisait tant en ma vingtaine, encore trop « littéraire » et fiorituré, mais le Léautaud d’In memoriam, au chevet de son père et l’observant « décéder un peu plus », à cela près que ma tendresse m’a interdit, auprès de Lady L., cette forme de sécheresse certes honnête mais trop proche à mes yeux de la froideur cynique.152417948_10226006294050783_2321425580859203323_n.jpgDANS SES MEUBLES. – Notre appartement de la Grand-Rue, dans cet immeuble charmant du début du XXe siècle, style art déco, que j’ai baptisé la Maison bleue à cause de la couleur de ses stores d’été, avec ses hauts plafonds à moulures blanches et ses parquets de chênes, ses verrières et sa vue sur les palmiers et les magnolias des quais, le lac et le Grammont par-dessus, a été meublé par elle avec une dominante « ethno » empruntant à l’Inde et à la Chine, à quoi j’ai ajouté un bureau javanais et des blibliothèques de bois de rose.Avant de nous y fixer, nous avions visité, au-dessus du casino, dans un immeuble lisse de sept étages, un grand appartement aux balcons en pointes de flèches d’où, une année plus tard, une famille de « survivalistes » s’est jetée en quête d’un monde meilleur, mais c’était après la maladie et la mort de notre chérie, à la fois moins et plus affreuse que ce drame insensé ; et les meubles choisis par Lady L. à la Maison bleue ne me disent, aujourd’hui encore, que recherche de l’harmonie et d’un confort paisible, aux beaux bruns roux et doux accordés au velours grenat du large canapé où elle aimait à s’éterniser en lointaines virées dans la foulée des voyageurs d’Instagram, sur sa tablette, entre deux tricots de plus en plus raffinés - c’est d’ailleurs au-dessus de ce canapé que j’ai rassemblé toutes ses peintures en prévision de la petite expo projetée en novembre prochain…311686255_10229977020036451_5342767788602395308_n.jpgLady L. posant à l’artiste ? Honnêtement : pas du tout. Assise en blouse bien propre et boutonnée, devant son chevalet, tout son matériel bien préparé, térébenthine exclue (elle a horreur des émanations délétères ou agressives, autant que de l’odeur des hôpitaux), elle peindra sagement, forte des conseils d'une amie artiste, d’abord des parapluies, puis des pots et des brocs, puis des paysages de plus en plus marqués par une vision personnelle me rappelant – le métier et le génie en moins - celle de notre ami Thierry Vernet (formes et couleurs à la limite de l’abstraction, non sans lyrisme délicat), dont elle affectionnait plus que tout une grande toile bleue quasi dénuée du moindre détail… DERNIER SAMEDI. - À la toute fin de sa vie, quelques jours avant son dernier dimanche, mon père m’avait dit : « Et voilà, plus jamais je ne ferai le tour du jardin, alors que ça fait moins de cent pas, mais tu les feras pour moi avec la petite quand elle saura marcher…», et son émotion, ce dimanche-là, quand nous nous sommes pointés avec « la petite »…Sur quoi nous voici, ce matin, à rire de je ne sais quoi. Alors elle : « Tu te rends compte qu’on arrive encore à rire alors que je n’arrive même plus à me lever ni à finir ma tranche de cake au citron de chez Zurcher» - son dernier caprice… (À la Maison bleue, ce 11 décembre 2021)

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