Magazine Journal intime

[challenge interallié] roman fleuve, récit romancé de philibert humm

Publié le 09 novembre 2022 par Tilly

aux Éditions Équateurs, août 2022, 288 pages, 19 euros ; prix Interallé 2022

4è de couv : Éric Neuhoff m'a coupé l'herbe sous le pied. Je lui pardonne, la cause est juste.

J'allais commencer cette note de lecture en annonçant le livre le plus léger, le plus drôle, le plus malicieux, de la rentrée littéraire 2022.
Mais l'éternel gamin de la critique littéraire et cinématographique, nez en trompette et épis capillaires en goguette, a clamé le premier son enthousiasme pour Roman Fleuve en première page du Service Littéraire d'octobre.
De la même façon il traite Philibert Humm d'énergumène, ce que je m'apprêtais aussi à faire ici ; tant pis, il me reste : foufou, dingo et zozo.
Par contre Neuhoff a une formule lapidaire que je n'aurais jamais trouvée : “ Philibert Humm n'aura pas le Goncourt. Il n'aura que des lecteurs. ”.

Capture d’écran 2022-10-02 à 18.15.41 (c) DR

Le plus loufoque de cette histoire est qu'elle a toutes les apparences de la véracité. Une photo dans le journal où Philibert Humm a été pigiste l'atteste. Le bateau s'appelle bien Bateau, l'auteur-narrateur-capitaine au centre est fièrement coiffé d'un bonnet marin à pompon (je sais maintenant qu'on dit bâchi) ; avec ses deux copains (moins de 90 ans à eux trois) ils ont descendu la Seine de Paris à Honfleur au mois d'août 2018 dans un canoë à pagaies.

Le récit romancé de cette expédition intrépide, dont le titre est déjà une sacrée trouvaille, est dédié :
“ À mon oncle Agathe. ” Ça commence bien.
Suit une citation d'Alphonse Allais en exergue, puis une hilarante soit-disant note de l'éditeur. En voici un extrait remarquable :

L'éditeur ne saurait être tenu responsable des mauvaises idées que ce livre ne manquera pas d'instiller dans le cerveau vicié des nouvelles générations gavées d'écran et pourries à la moelle. Cette aventure a été réalisée par des professionnels. N'essayez pas de la reproduire chez vous.

Il faut que je me calme sinon je vais recopier ici les deux-cent-soixante-dix pages de ce Roman Fleuve, jusques et y compris le vrai-faux droit de réponse d'un des équipiers, et une table des matières roborative.
Alors, juste un petit dernier que je garde précieusement en mémoire pour les dîners en ville :
“ Cuite mémorable est un oxymore.”.
— Ça va être dur de retrouver mon sérieux pour en dire un peu plus sur Roman Fleuve !

trois hommes, un bateau, mais pas de chien
Roman Fleuve est un hommage subliminal, subrepticement avoué à la page 235, à Three Men in a Boat de Jerome K. Jerome (1889).
À peine larguée l'amarre et quitté le quai sous le pont du Garigliano, nos trois marins d'eau douce perdent l'ancre du canot !
Peu importe : la débrouille, l'improvisation, et les muscles, feront office d'expertise et de préparation.
Il y aura deux chavirements judicieusement répartis au long de la navigation, des bivouacs au milieu des immondices sous des ouvrages d'art (pont de RER, d'autoroute, etc.), une mutinerie, des ventilations narratives quand il ne se passe pas grand chose sur l'eau, et beaucoup de mauvaise foi de la part du narrateur qui ne manque pas une occasion de se pousser du col, et de poser en aventurier donneur de leçons inutiles à ses subordonnés matelots.

oncle Agathe, Gérard Larcher, Sylvain Tesson, et Véronique Sanson
Samuel Adrian (frère de Pierre, mais il faudrait que vous le connussiez), alias Bobby, et François Waquet (le moustachu sur la photo et soi-disant auteur du droit de réponse final) me pardonneront j'espère de ne pas m'étendre sur leur inestimable participation à l'exploit, l'un comme écopier principal, l'autre en major autoproclamé ; ils sont de tous les chapitres, en permanence en but aux moqueries désobligeantes et mesquines de leur capitaine : on peut les plaindre.
Je fais aussi l'impasse sur le roi Merlin et Slim Batteux.
Mais pas sur oncle Agathe ! D'abord parce qu'on le retrouve page 140, et plus longuement dans un autre opus de Philibert Humm : Les tribulations d'un Français en France.

La veille du départ, [encore ! quand on vous dit qu'il ne tient pas en place] je confiai mes inquiétudes à mon vieil oncle Agathe, qui va sur ses 90 ans et refuse qu'on l'appelle “Tante” pour des motifs qui la regardent. “Triple buse, dit-elle affectueusement, les gens qui vont au loin en savent à peine plus long que toi qui n'as jamais dépassé l'Indre-et-Loire.” Mon oncle exagère, je suis allé plus loin que l'Indre-et-Loire et par deux fois jusqu'au Puy-en-Velay. Mais en exagérant, elle disait vrai : on ne connaît pas un pays parce qu'on l'a foulé aux pieds. Ce serait trop simple. À ce compte, mieux vaut encore se fier aux images d’Épinal. Elles sont, prétend mon oncle, un mensonge qui dit souvent la vérité.

In: Les tribulations d'un Français en France, éditions du Rocher, 2021

On a aussi la famille Tesson en chair et en os : Sylvain, son père, sa sœur, pour un délectable pique-nique sur l'île de Chatou. On retrouve plus tard Tesson père à l'arrivée à Honfleur ! Je soupçonne un chouïa l'auteur de vouloir flatter l'ego du président du jury du prix Interallié 2022 (humm humm)...
Gérard Larcher : il est de l'aventure par l'intermédiaire de ses Mémoires que le capitaine Humm lit à bord, sauve d'un naufrage, et cite abondamment.
Véronique Sanson : je vous laisse découvrir vous-même la teneur de sa participation évanescente mais non négligeable à l'aventure et par conséquent à l’œuvre !

têtes de chapitres
Je me suis démenée pour trouver le terme exact qui désigne la forme qu'adopte Philibert Humm pour commencer chaque chapitre dans Roman Fleuve.
Elle n'est ni originale ni moderne, on la trouve abondamment dans la littérature du XIXè notamment, et la formule Où l'on voit que... pour annoncer le contenu qui va suivre n'est pas neuve non plus.
J'ai cherché mais pas trouvé. Un ami et éminent correcteur m'a suggéré chapô, comme dans la presse, mais je doute. Une autre amie qui lit beaucoup : accroche. Je ne suis pas convaincue.
Un exemple sera plus clair, voici comment se présente le début du deuxième chapitre de Roman Fleuve :

2 De l'absolue nécessité de se procurer un canot pour
canoter. — Négocier le prix d'un canot. — Slim
Batteux et Véronique Sanson.

S'agissant des classiques de la littérature, on pouvait y voir un encouragement à la lecture de ce qui suivait, une espèce de résumé, une aguicherie. Chez Humm c'est moins académique et systématique, plus fantaisiste évidemment mais follement aguicheur ! La table des matières composée de ces têtes de chapitres est un régal à déguster sans modération.

la question qui fâche mais ne devrait pas
Est-il bien sérieux et responsable de lire (pour un lecteur ; sinon d'écrire pour un écrivain) léger quand l'heure est grave (ou qu'on croit qu'elle l'est) ?
Vous imaginez bien que je me fiche de la réponse et que je continuerai à rechercher le plaisant et le pétillant dans mes lectures, mais je ne résiste pas à citer encore Philibert Humm, toujours dans ses Tribulations d'un Français en France :

On me reprochait aussi de verser dans l'anecdote et le calembour, de me livrer à des fantaisies, d'être un rigolo en somme. On me l'a pourtant fait copier cent fois : “Il n'est pas permis d'être léger quand l'heure est grave.” Depuis l'enfance, j'attends que cette heure passe. Je ne quitte pas des yeux le cadran. L'aiguille est comme grippée, elle n'avance pas. Nous devrions essayer de changer la pile.

Très vif et amical remerciement à Alain Bonnand (lui non plus non plus ne se pliera jamais aux injonctions de componction du moment) qui m'a offert ce Roman Fleuve (cela faisait déjà quelque temps qu'il me parlait de Philibert Humm ; il m'avait même invité à le rencontrer avec lui et je n'avais pas pu, dommage).

>> à lire autour :

  • mon challenge Interallié 2022
    j'explique pourquoi je me suis lancé le défi de lire les cinq livres sélectionnés...pourquoi j'ai choisi de faire des notes de lecture de deux d'entre eux, et de rédiger de courts avis pour les trois autres ; et pourquoi j'attends la proclamation (9 novembre) avec impatience
  • [à compléter]

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