La Nature, dans sa grande sagesse...

Publié le 25 octobre 2022 par Rolandbosquet

Tandis que j’attends mon tour à la pharmacie du village où je vais m’enquérir de mon vaccin contre la grippe, j’entends le client qui me précède expliquer avec force détails qu’il a été piqué par une tique dans un endroit des plus intimes de son anatomie et qu’il est à la recherche des crochets adéquats pour l’enlever. Il est vrai qu’un peu de soleil, un peu de chaleur et un peu d’humidité suffisent à faire sortir ces répugnantes bestioles de leur tanière. Elles ont besoin de sang pour vivre et se reproduire. Elles n’hésiteront pas, pour s’en abreuver, à s’insinuer dans vos chaussettes, dans votre pantalon, voire plus haut encore. La terrible maladie de Lyme menace alors le distrait qui ne ferait pas vérifier régulièrement son intégrité corporelle au retour d’une chasse aux cèpes ou d’une randonnée campagnarde par exemple. Et la menace est d’autant plus sérieuse que l’on vient de découvrir que certaines de ces tiques, originaires du sud-est des États-Unis, pourraient non seulement inoculer l’abominable bactérie borrelia burgdorferi mais, plus grave encore, provoquer chez ses victimes une allergie à la viande.

Le processus ferait intervenir un sucre complexe affublé du nom barbare de galactose-alpha-1-2-galactose que l’on retrouve dans la membrane des cellules de tous les mammifères sauf chez les primates dont, bien sûr, l’homme.  Imaginons que notre brave promeneur du dimanche vient d’être attaqué par cette horrible bête sauvage émigrée du Tennessee ou de Caroline du Nord. En rentrant chez lui, il ressent une désagréable démangeaison. Sa compagne opère alors avec délicatesse et fermeté à la fois.  Mais c’est trop tard. Les anticorps de notre patient sont d’ores et déjà entrés en action. S’en suivent des contractions abdominales douloureuses et des diarrhées apocalyptiques.

Après les quelques jours de diète indispensables pour faire oublier cette mésaventure, notre homme éprouve évidemment un besoin irrépressible de reprendre des forces et décide de s’attaquer à une belle entrecôte de bœuf limousin large comme une main de buandière. Mais comme les cellules de ce bovidé contiennent le fameux sucre incriminé, les anticorps de notre gastronome affamé sur-réagissent comme lors de la morsure et les symptômes l’accablent de nouveau. Découragé, il comprend qu’il est désormais interdit de viande, même cuite au barbecue, et condamné aux courgettes, aux carottes râpées et aux poireaux vinaigrette. Or notre ami n’est pas le seul à subir cette impitoyable sanction. De nombreux cas identiques sont bientôt relevés par les réseaux de surveillance de Santé Publique. Informés par les médias qui en font leurs choux gras à grand renfort d’experts en tout, les éleveurs de bovins s’inquiètent. Il en va non seulement de la survie de toute une filière professionnelle mais aussi de l’entretien des herbages, prairies naturelles et autres pâturages de plaines et de montagnes, en un mot de la beauté touristique de nos paysages ruraux.

Dans son rapport, la commission interministérielle chargée d’évaluer la situation accuse d’emblée le réchauffement climatique, bouc-émissaire idéal au regard de la prolifération actuelle des tiques dans nos contrées. Elle recommande surtout l’ouverture d’une enquête dans les milieux activistes proches des sectes végétariennes les plus prosélytes au motif qu’une main malveillante aurait pu introduire volontairement les tiques étasuniennes en Europe afin de dégoûter les consommateurs mâles de toute nourriture carnée.

Mais ne versons pas dans le complotisme facile. Même si les écologistes de centre-ville persistent à militer pour la préservation tous azimuts de la biodiversité, moustiques compris, les froidures d’automne devraient renvoyer les vilaines bestioles dans les limbes hivernales. Comme, dans le même temps, sa production de vitamine D baissera sensiblement, l’appétence du viandard post-moderne pour la cuisine préhistorique devrait elle aussi s’atténuer. On voit par-là qu’en définitive, c’est la nature elle-même qui impose, dans sa grande sagesse, une trêve opportune aux agapes estivales. Comme si elle voulait permettre aux confiseurs d’exprimer, eux aussi, leurs diabétiques talents.