Sur le chemin du retour, nous nous arrêtâmes au village de Tavant, en Touraine, à vingt kilomètres de Chinon, dans la vallée de la Vienne. Juste à temps pour suivre la dernière visite guidée de la journée. Celle de Saint-Nicolas de Tavant, l'église avec sa crypte sous le choeur, ses peintures dont la splendeur m'avait été maintes fois vantée par Nunki Bartt. Lequel était donc présent ce jour-là, et se réjouissait de nous faire enfin découvrir ces beautés de l'art roman. Beautés qui ne furent signalées qu'en 1862 (j'apprends cela et ce qui va suivre de cet opuscule de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France consacré précisément à Tavant, et déniché voici plusieurs années dans la fourre-tout alibabesque de Noz). Et ce n'est qu'en 1940-1941, sous l'Occupation donc (cela m'étonne toujours qu'en des périodes si dramatiques, on ait pris le temps de se pencher sur ce qui semble profondément inactuel - et Tavant est loin d'être une exception), que Marthe Flandrin et sa belle-soeur, Simone Flandrin-Latron, réalisent les premiers relevés à l'aquarelle.
Je songe qu'avec cette crypte nous sommes encore, comme à l'Orbière, dans le monde souterrain, mais un monde souterrain qui est aussi tourné vers le ciel : l'axe principal aboutit à la figure du Christ en majesté, dans sa mandorle.
La force unique de Tavant, c'est d'abord celle de l'artiste qui a peint ces fresques, et dont on suppose qu'il était fin connaisseur des thèmes orientaux, byzantins. La fermeté des compositions, l'expressivité des visages et des mains laissent à penser que cet art devait être au service d'un programme iconographique rigoureux. Pourtant celui-ci reste obscur et plusieurs figures épuisent le savoir des spécialistes. Dès l'ouverture le mystère plane : deux oiseaux, aujourd'hui en moins bon état que sur les relevés de 1940-1941, nous accueillent, le premier, au nord, ailes ouvertes, regardant vers le sud, le second, au long cou recourbé, ailes fermées, faisant face au nord. Une représentation, précise l'opuscule, qu'on retrouve sur des édifices très anciens. Et puis, tout de suite après, ces deux femmes auréolées, assises sur un trône, les pieds posés sur un scabellum (sorte d'estrade honorifique), tenant dans chaque main des tiges avec des volutes.
Seule change la position des mains, fermées ici, ouvertes là, à l'instar des ailes des oiseaux. Qui sont ces femmes ? Que signifient les tiges aux volutes ? Aucune hypothèse n'a été retenue. Idem pour "l'homme dansant" qui suit, dont l'anonymat demeure : que tenait-il dans sa main droite levée ? Que désignait-il de son index pointé ?
Le rôle des deux anges lampadophores un peu plus loin demeure lui aussi inexpliqué, tandis que les "atlantes" de la partie sud de la troisième travée laissent encore plus circonspect : "Ici, reconnaissent les auteurs de l'opuscule, aucun élément n'aide à leur compréhension. Ils portent un objet rectangulaire suffisamment allongé pour que certains spécialistes parlent de règle et d'autres de poutre ; en fait, cet objet n'a pas encore été identifié de manière convaincante."
La fin de la visite coïncide avec une dernière énigme : sur le collatéral sud exempt d'autres représentations, voici un personnage enturbanné, panetière à la ceinture (ce pourquoi on le désigne souvent comme un pèlerin), une longue plume ou palme à la main gauche et un long objet plat et légèrement courbé à la main droite (qui a peu à voir avec un simple bourdon de pèlerin). S'agirait-il du commanditaire des fresques (lequel est inconnu) ?
Après un dernier verre dans un café-PMU de l'Ile-Bouchard, où jadis s'enfuit Picrochole, nous disons au revoir au Doc, à Géraldine et Jacques B. Si nous avions eu encore un peu de temps, ce dernier aurait voulu nous montrer également les graffitis de Cunault, près de cette Loire, victime de la sècheresse, qui faisait si peine à voir.