A Fléchigné, Lancelot et Geneviève continuent de s'intéresser à la recherche scientifique. Un physicien a attiré leur attention :
Louis Leprince-Ringuet (1901-2000). En 1929, il fut accueilli par Maurice de Broglie pour orienter son laboratoire de physique des rayons X vers la physique des particules. En 1936, il est nommé professeur à l'École polytechnique où il crée un laboratoire. Sa quête est de percer le secret des rayonnements cosmiques. S'agit-il d'ondes électromagnétiques, sont-ils composés de particules ?
En 1933, un aller et retour sur un bateau cargo entre Hambourg et Buenos Aires permit à Leprince-Ringuet d'entrevoir une réponse : il s'agirait de particules chargées, déviées par le champ magnétique terrestre. Pendant la guerre il établit son laboratoire de physique atomique dans les Hautes-Alpes, à 1 000 mètres d'altitude. Il y découvre ces particules lourdes, bien énigmatiques.
Ces ''rayons'' sont donc plutôt des flux de particules à haute énergie composés de protons, d'électrons et de noyaux atomiques qui circulent dans tout le cosmos. " Quand un rayon cosmique heurte un noyau (de l'atmosphère par exemple), il le casse complètement et, en plus, est capable de créer des particules nouvelles appelées mésons, hypérons, etc. "
Ainsi, si pour obtenir une transformation d'un élément chimique en un autre par une modification de son noyau atomique, on peut bombarder les noyaux avec des sources intenses de particules alpha des corps radioactifs ; on pourrait aussi utiliser les rayons cosmiques.
" On ne connaissait pas très bien les propriétés de ce rayonnement qui sillonne l'espace, jour et nuit, et qui nous arrive sur terre à la cadence d'une particule (en général un noyau léger) par seconde sur la surface de la paume de la main. Nous sommes donc traversés, jour et nuit, hiver comme été, par des particules d'une énergie considérable... "
Louis Leprince-Ringuet se demande si un physicien est un créateur, un artiste, un poète ? " notre œuvre n'est pas une œuvre d'art, nous ne méritons pas le beau titre de poète " L'œuvre d'art est unique. " notre œuvre s'inscrit dans une recherche constante des phénomènes de la nature, de leur explication, de leur association sous un même formalisme que nous inventons pour y parvenir. "
" En science comme en religion il faut être attentif aux signes. Nombre de grandes découvertes sont la conjonction du hasard et de l'acuité d'observation et d'interprétation des signes. " ( Foi de physicien)
Annoncé dans le journal du mardi 2 janvier ; ce 30 décembre 1944, Romain Rolland est mort, chez lui à Vézelay. Lancelot se retourne et observe, dans sa bibliothèque, ses magnifiques volumes reliés de '' Jean-Christophe'' ( roman en 10 volumes publié de 1904 à 1912) ; première lecture de livres d'adulte.
Il s'agit d'un roman d'apprentissage, c'est à dire d'une quête, celle de Jean-Christophe Krafft, un jeune compositeur allemand de génie, à l'égal d'un Beethoven, né sur les rives du Rhin. Le héros surmonte diverses difficultés, perd la foi, découvre l'amour, la sensualité, mais doit s'exiler en France. L'allemand et musicien se lie d'amitié avec le français Olivier Jeannin. Les deux amis se complètent et s'enrichissent réciproquement.
Romain Rolland, à travers Christophe héros musicien et romantique, recherche une vraie foi en dehors de tout dogme et de toute église. Il la trouve par Beethoven et Berlioz. Et, c'est une autre foi ; une foi en l'homme, en sa valeur universelle, et en l'efficacité de sa raison.
A Vézelay, peut-être déçu de son pacifisme, sa retraite lui permet de voir venir à lui, des personnes de grand notoriété en recherche de sagesse. Des gens aussi divers que Maurice Thorez, la reine Elisabeth de Belgique, Waldo Frank, Aragon, de simples militants, des prêtres, mais aussi, Marcelot, pépiniériste de Clamecy, le boulanger Crochet en bas de Vézelay, et un jeune couple de militants de Migennes.
Rolland admire Paul Claudel ; mais juge durement sa conduite envers sa sœur, et son adultère. Il a pour ami, le très controversé "l'Autre" Chateaubriand, Alphonse, et pour visiteurs aussi, des officiers allemands alors que ''Jean Christophe'' est interdit non seulement en Allemagne, mais aussi dans les écoles françaises.
Janvier 1945, le froid est intense. Si le charbon manque, le bois supplée. En ville, la viande manque. Les prix s'envolent, et à Paris le marché noir est au plus haut. Ici, bovins et porcs sont bon marché mais, il n'existe que peu de moyens pour les transporter vers la capitale. Nous sommes toujours au régime des tickets de rationnement.
A Fléchigné, nous employons un prisonnier de guerre allemand ; et nous hébergeons des réfugiés du Calvados. Pas de gaz , et l'électricité est souvent coupée. L'acheminement du courrier est aléatoire.
18 janvier 1945 Le gouvernement dissout la direction des FFI. 21-23 janvier au Comité central du PCF, Thorez se prononce pour la fin des milices patriotiques (communistes).