Mais d'abord il faut gagner son billet et cela faisait un moment que malgré ma participation très matutinale aux précédentes éditions je n'avais plus jamais été élue pour recevoir le livre choisi.Portrait de l'écrivain en chasseur de sanglier .
Un peu désabusée je m'y suis prise cette fois très tard en choisissant au petit bonheur (je savais quand même prendre peu de risques en choisissant un livre édité chez Mialet-Barrault) :
Et ce fut un grand bonheur : de recevoir le livre d'abord, de lecture ensuite.
Un livre à (bonnes) surprises pour tout lecteur je crois, mais spécialement pour moi.
Un mot d'abord sur l'illustration de la couverture (dessin de Marek - avec qui Jean-François Kierkowski collabore en bande dessinée). Évidemment elle donne le ton du livre, burlesque et composite, mais c'est quand on referme le roman qu'elle prend toute sa saveur.
On pourra jouer à chercher/trouver/vérifier les points communs entre l'auteur Jean-François Kierzkowski et son narrateur François Korlowski. Tous deux approchent la cinquantaine, sont natifs de Saint-Nazaire et habitants de Saint-Mars-du-Désert (ce toponyme ! s'il n'existait pas il faudrait l'inventer). Des points communs biographiques principalement.
Bien sûr ils sont aussi écrivains tous les deux. Mais Jean-François (l'auteur) a doté François (le personnage) d'une personnalité qui frôle le ridicule, et je suis gentille. Il est agaçant de bêtise et de fatuité, ce pauvre François : vous n'imaginerez jamais dans quelles situations rocambolesques il va aller se fourrer, c'est ça qu'est drôle ! Une manif d'indépendantistes bretons d'extrême droite, une battue au sanglier, un cocktail de salon du livre à La Baule, une chasse à l'homme dans la Brière...
Justement, la Brière, parlons-en.
François Korlowski est un écrivain ni très prolixe ni très lu, alors quand son éditeur l'appelle pour lui annoncer qu'il a été coopté pour un collectif sous la haute autorité de l'Académie Française, il se gonfle d'orgueil, ne pose pas de questions ou alors pas les bonnes, et fonce tête baissée. Il s'agit, lui dit son éditeur qu'il n'écoute pas bien, de rédiger une note de lecture succincte d'un des Grand Prix du roman de l'Académie décernés depuis 1914 à nos jours. Une centaine d'auteurs français coopèreront à cet ouvrage de prestige qui sera publié pour les fêtes de fin d'année 2023. On l'a apparié au prix de l'année 1923 : La Brière, d'Alphonse de Châteaubriant (1877-1951).
Il ne connait ni le roman, ni l'auteur, mais il est plein d'enthousiasme, et la Brière c'est pas loin, ce sont des marais comme ceux qu'il a près de chez lui, en bordure de l'Erdre.
aparté : fin 1999 je suis devenue propriétaire d'une résidence secondaire à Missillac qui est l'une des vingt et une communes de la Brière. J'ai donc été propriétaire en indivision d'un bout (virtuel) de Brière jusqu'à juin 2021 ! Au printemps suivant on avait fait la traditionnelle balade en chaland dans le marais, on avait visité Kherinet, mais avant ça j'avais lu La Brière (la même édition que celle de François Korlowski : les Cahiers Rouges, Grasset, 1985). C'est surtout l'intérêt historique et documentaire du roman que j'avais retenu, les descriptions des paysages et de l'habitat dans des chaumières misérables noircies par le chauffage à la tourbe, la pauvreté sinon l'indigence des briérons au tout début du XXè siècle.
L'air de rien, tout en contant les mésaventures hellzapoppin'esques de son héros, Jean-François Kierzkowski nous mène par le bout du nez et nous en apprend beaucoup sur la littérature d'avant la Grande Guerre puis de l'entre-deux-guerres.
En effet, Alphonse de Châteaubriant avait connu un succès considérable avec La Brière, un peu comme Louis-Ferdinand Céline avec Le Voyage au bout de la nuit.
Sous prétexte des recherches que finit par faire son personnage qui n'avait même pas pensé à consulter Wikipedia, Jean-François Kierzkowski livre une biographie d'Alphonse de Châteaubriant très documentée et presque autorisée.
J'ai lu D'un château, l'autre il y a longtemps, mais je n'avais pas retenu l'extrait dans lequel Céline raconte sa rencontre brève mais inénarrable avec Alphonse de Châteaubriant à Sigmaringen ! Merci pour cette (re)découverte.
Ailleurs, au détour d'une hilarante comparaison entre la vie conjugale d'Alphonse et celle de François Korlowski (hommes se disant mal épaulés, sous-estimés par des épouses dédaigneuses ne satisfaisant pas leur appétit intellectuel...), on apprend (pour moi un véritable scoop) que l'historien André Castelot a été le secrétaire de Châteaubriant lorsqu'après avoir abandonné Marguerite, sa légitime, il avait fini sa vie auprès de Gabrielle Castelot, mère d'André.
aparté (suite et fin) : je vous dois d'avouer que lorsque j'ai lu La Brière in situ début 2000, moi non plus je n'en savais pas beaucoup sur son auteur. C'est mon père (Charles Bayard, 1920-2020) qui m'a alors raconté et révélé le piteux comportement d'Alphonse entre les deux guerres et jusqu'à sa mort en Autriche en 1951... À ma décharge (comme à celle du narrateur !) Alphonse de Châteaubriant - pas comme Céline - avait complètement sombré dans l'oubli après-guerre et n'avait été réédité que dans les années quatre-vingt. Même sa longue amitié et sa correspondance avec son aîné nobelisé Romain Rolland ne l'auront pas dédouané. Ceci dit, on retombe vite dans les discussions stéréotypées de distinction entre l'homme et l'écrivain...
C'est un livre composite (action, humour, érudition,...) mais il ne faut pas en déduire que la narration soit morcelée. Tout se tient très bien : la folle aventure de François Korlowski, le roman du roman (le narrateur déborde largement du contrat éditorial initial), la biographie de Châteaubriant, la moquerie du milieu littéraire, le dézingage du complotisme (le narrateur n'est pas loin de croire à l'influence du réchauffement climatique sur la domination progressive et inéluctable de l'animal sur l'homme, à preuve les moustiques géants ou les marcassins mutants qu'il voit partout !).
" Alors que je parcours les autres pages [du contrat d'édition]Le même moustique est désormais perché sur la molette de la souris et active ses pattes en tous sens ; Se peut-il qu'il cherche à faire défiler le texte à l'écran pour lire la suite ? L'idée paraît absurde, mais lorsqu'on vient de se faire voler un livre par un sanglier, on est en droit de se la poser. "
, un épais moustique se pose sur l'écran de mon ordinateur. Je m'étonne d'en croiser encore à cette époque de l'année, mais ce qui me surprend, c'est son comportement : il se déplace le long d'une ligne de texte. Arrivé au bout, il s'envole vers l'arrière et réatterrit sur la ligne suivante qu'il parcourt à son tour. Il réitère ce manège quatre ou cinq fois jusqu'à ce que je le chasse d'une mornifle (seule méthode efficace touvée à ce jour). [...]
On se régale des running gags et tics d'écriture (rappel peu nécessaire : elle est sensée être celle du narrateur). L'écrivain se délecte à fournir la description détaillée genre fiche du constructeur pour les voitures, et surtout, à réutiliser les nombreux termes nouveaux et/ou inusités qu'il a trouvés au fil de sa lecture de La Brière ; l'effet comique culmine dans la note bibliographique enfin rédigée qu'il délivre à la fin du roman.
" Aujourd'hui, Châteaubriant demeure peu connu du grand public. lui qui, entre deux guerres, vendait autant de livres que peut se reproduire une colonie de hamsters en un an [600 000] Ah, elle aurait belle allure notre statue de Châteaubriant, orteils à l'air, port altier, regard fiévreux, poils en volutes. J'imagine déjà au printemps les mésanges s'établir dans les entrelacs de sa barbe ; leurs zinzinulements lancinants obligeraient les passants à lever les yeux sur cette sculpture de bronze. Sous le bras du Grand Homme, on distinguerait un exemplaire de La Brière qui renverrait en miroir, sinon nos erreurs, du moins l'incohérence de bouder une oeuvre adulée cent ans plus tôt. "
a disparu de l'histoire littéraire. Ce qui mène à se poser la question suivante : plutôt que de déchoir des œuvres et déboulonner des statues, pourquoi n'en érigerait-on pas à la gloire de l'erreur ? De beaux romans et de grandioses sculptures rappelleraient au monde que certains hommes illustres ont été un jour en dessous de tout. Pour éviter toute méprise, chaque modèle à ne pas suivre serait représenté jambes et pieds nus, pantalon et chaussures rangés en retrait : symbole de l'homme à côté de ses pompes.
Un rythme épatant qui va en s'accélérant et emporte le lecteur dans une fantaisie emballante.
Mon conseil à qui viendrait à visiter la Brière pour la première fois : ne lisez pas La Brière d'Alphonse de Chateaubriant en premier, lisez d'abord Portrait d'écrivain en chasseur de sanglier de Jean-François Kierzkowski ! C'est beaucoup plus drôle !