Concours «Écrire l’arbre»Pour ce concours, sans hésiter, j’avais choisi d’écrire sur les pins rouges avec lesquels je vis depuis cinquante ans.
Un appel de textes invite les personnes à célébrer un arbre qu’elles affectionnent particulièrement.
«Des professeures et professeurs du Département d’études littéraires organisent un concours d’écriture ouvert à toutes et à tous, consistant à soumettre «un texte consacré à un arbre réel qui pousse sur le sol québécois et avec lequel on entretient un lien privilégié, ou que l’on souhaite spécialement mettre en valeur.»
Mes pins.
Je n’ai pas gagné.
Bien hâte de lire le texte primé.
Je publie donc le mien, ici.
Entre terre et ciel
Ils m’arrivaient à l’épaule.Ils avaient cinq ans, j’en avais vingt.
Ils grandissent encore. Une couronne de branches par année. Des branches qui, faute de lumière, deviennent moignons après quelques saisons.
Et je les ai aimés tout de suite.
Ces petits cônes déjà élancés sont tous nés la même année : 1967.
Je reconnais des pins, j’ai appris qu’ils étaient rouges. Plus petits que leurs cousins, les pins blancs. Une plantation encouragée par le gouvernement, aménagée par une famille et un mouvement 4H.
Les palmiers et les figuiers du sud m’ont tenu compagnie certains hivers, les arbres géants de l’Ouest canadien m’ont impressionnée, les tuckamores sauvages de Terre-Neuve m’ont attendrie.
En revanche, mes pins rouges, oui, mes pins — nous nous sommes apprivoisés —, sont devenus mes amis, mes amours. À la fois apaisement et admiration depuis cinquante ans.
Pendant mes convalescences solitaires, je leur ai confié mes peurs et mes larmes. Mes mains sur l’écorce rude, les yeux fixés sur les aiguilles jumelles qui cherchent le ciel, le calme est revenu. Chaque fois.
Ils m’ont enveloppé de leur courage, de leur force et m’ont parlé de leur longévité. Leurs cimes m’ont bercée de leurs valses rassurantes.
Ils me protègent du soleil trop ardent l’été, et des violentes bourrasques de neige, en hiver.
Ils enveloppent maison, remise et atelier. Lors d’expositions, on accroche des tableaux sur les fûts, et on installe des sculptures sur des troncs. En marchant dans les allées, les visiteurs ont l’impression d’entrer dans le chœur d’une cathédrale. Je conte l’histoire de ce cloître et j’explique les embranchements des pins.
Ceux plus exposés au soleil surveillent le grand champ de pommes de terre d’en face et rougeoient lors des plus beaux couchers de soleil. Ils accueillent les geais bleus, les phébis et les mésanges qui viennent parfois s’aimer. En croassant, les mainates se perchent sur les cimes. Les écureuils bruns s’offrent un buffet de cônes à volonté. J’aime tout d’eux même si je n’ai encore goûté aux jeunes pousses doubles ni distillé leur résine, parait-il bienfaisante.
Mes grands pins n’ont jamais connu les champignons ou les papillons nocturnes. Laqués de pluie ou lourds de givre, ils resplendissent de santé. Depuis quelques années, dans les rares éclaircies, des bouleaux et des érables, le rouge et l’ocre colorent le décor forestier dans une magie de clair-obscur.
En cinquante ans, j’en ai fait couper quelques-uns. Les plus près des bâtiments. J’en ai vendu. M’en ont-ils voulu? Je ne les ai jamais connus revanchards. Je les ai coupés pour ne pas étouffer, pour respirer. Dociles, ils ont servi de charpente pour un atelier d’artiste.
Ils m’ont fait peur le 21 mai 2022, à 16 heures 13. Sous la force du vent, certains ont craqué, cassé. Dans le sol sablonneux, leurs racines étalées n’ont pas suffi à les retenir. Cruel destin, pourquoi ce vent violent -- nommé derecho nous a-t-on appris -- vous a-t-il abattu en trois secondes? Vous, les pins rouges, les résistants. Pourquoi vous, plus que tout autre espèce, plus que les feuillus fluets? Pourquoi vous, mes amours, mes fidèles? Vous deviez me survivre un bon 150 ans encore. Je vous voyais en maisons, en sculptures, au moins en poteaux de ligne. Finir en copeaux de bois, en bois de chauffage, quelle déchéance!
Chez nous en tout cas, plusieurs d'entre vous avez supporté l'épreuve.
Vous m’avez montré votre vulnérabilité. Je sais maintenant votre fragilité à l’enracinement.
Je vieillis, vous êtes encore jeunes.
Bientôt, je m’endormirai à vos pieds.
Je vous regarderai grandir encore.
D’en haut cette fois.