Ambiance glauque, bouteille de Labatt 50 sur le comptoir du bar, ardoise illisible en arrière de la serveuse et videur de club plus large qu’un cadre de porte.
C’était soir de grand-messe aux Foufounes électriques… le rockeur sanctifié était sur l’hôtel de la poésie! Avant la fin de la nuit, la batterie de Michel « Away» Langevin de Voivod va perdre sa peau. Il bûche comme un métronome au rythme des mots du Freak de Montréal!
Pendant ce temps-là, mon frère Balloune regarde sa montre! Il calcule le sommeil qui lui reste entre deux gorgées de Labatt 50 du bout des lèvres. Il n’est pas chose facile de vivre sa vie comme un comptable.
L’art est partout dans place. Entre les deux oreilles, c’est comme si j’étais bandé! Des fresques, du freestyle sur les murs à coup de canettes de peinture par des graffeurs engagés… par le boss du bar! J’ai sifflé deux Labatt 50 en 5 minutes, je suis surexcité par le zoo autour de moi! J’me dis d’arrêter d’écrire dans ma tête et de profiter du moment.
En pissant, j’aperçois l’affiche du spectacle en face de moi. Et c’est écrit noir sur blanc qu’en première partie, des poètes vont rendre hommage à Lucien Francoeur. Et dans la liste de nom, il y a celui de Claude Péloquin.
J’ai cherché dans le dictionnaire un mot pour bien décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là et je n’ai pas trouvé de mot assez puissant ni dans le Petit Robert ni dans le Larousse.
J’étais en transe. On dirait que le mohawk que j’ai longtemps porté comme un drapeau était en train de r’pousser à travers mes cheveux de banlieusard de 45 ans. Mes snicks Reebok faisaient place à de bons vieux Doc Martin aux mille et un trous, aux lacets à l’infini, au look de bottes de lutteur! J’avais retrouvé ma maudite peau d’ado incompris. Ma peau de poète inachevé! J’étais devenu un poème de « Denis Vanier » qui allait resiffler une autre Labatt 50!
À 3,50$ on s’rait fous de s’en passer.
J’apporte trois bières avec moi, dont celles pour mes deux comptables loin de leurs chiffres! Si j’additionne un Barbu de ville avec une soirée de poésie, de la bière et multiplié par Voivod, Grim Skunk, Groovy Aardvark, Aut’chose, Jean-Paul Daoust, Stéphane Papillon alors j’obtiens un total trop chaotique pour n’importe quel mathématicien! Câlisse-moé ta calculatrice au boutte de tes bras pis finis ton shooter de Jack Daniel’s! Le moment qu’on vit est incalculable!
La foule est bruyante, belle dans ses bottes de cuir, marginale et extravagante. J’étais au milieu de ce brouhaha! L’odeur du tabac d’orchestre avait depuis longtemps envahi la place. Les immenses caisses de son vont cracher de la poésie, vont faire résonner l’hommage de Daoust à Francoeur!
Au début, les poètes défilaient sur le stage comme sur une chaîne de montage. Ils étaient tous pareils! J’ai regardé mon frère et le plus sérieusement du monde, je lui ai dit dans un cri qui venait du coeur: « Fuck le gros, la poésie est morte à soir! ». « À soir c’est la fin de la contre-culture! ».
J’aurais eu le goût de monter sur le stage pis leur brasser la prose sur un esti d’temps! Lâche les figures de style pis écris avec ton coeur. Profite de la tribune qui t’est offerte pour choquer, réinventer, donner un sens à ce monde de fou!!! On était loin de Denis Vanier à la nuit de la poésie 1970 avec son poème Photo-Police!!!
Mon frère et Yann auraient pu monter sur le stage et citer des chiffres que ç’aurait été pareil!
Pis tout à coup, arrive sur le stage un homme de 72 ans. Il arrive avec son charisme et ses vieux os! Il prend tout l’air dans place. Collectivement on manque de souffle. C’est le silence total partout, même les belles serveuses ont arrêté de déboucher des Labatt 50! Le seul air qui reste est pogné en mottons dans les seins de la fille en cuir pis en « stud » à côté de moi. C’est sûrement un BBQ Lady, une Bubble Gum Baby! J’aurais léché tous les tatouages de son corps juste par pur plaisir!
Jean-Paul Daoust lui-même du haut de sa stature, le dandy de la poésie québécoise est en face du micro! Le moment est solennel, les « R » vont rouler en limousine. Il parle de son chum Lulu de la plus belle des façons. Son hommage était délicieux.
J’ai sifflé un shooter seul aux abords du bord avec moi-même et le capitaine de mon bateau ivre, Jack Daniel’s! Je savourais l’instant pendant que Marc Vaillancourt du groupe Barf hurlait « Le P’tit Bonheur » de Félix Leclerc.
On nous annonce que Claude Péloquin vient d’entrer d’urgence à l’hôpital! Qu’il ne sera pas présent pour l’hommage… un mois plus tard, il est décédé. Il était finalement tanné de ne pas mourir le beau fou. Lucien est monté sur le stage pour chanter l’Indien de Péloquin… un moment sublime!
Merci d’avoir pensé à nous inviter au spectacle mon Yann, tu m’auras permis de vivre un moment magique. Je te remercie mon chum! Un spectacle unique dans lequel on a vu la générosité de Francoeur et celle de son super band! Les « riffs » de guitare de Pierre Racine résonnent encore dans ma tête et vibreront longtemps dans mon âme!
En sortant du spectacle, plein de bière dans le sang, la tête pleine d’inspiration, les yeux remplis de belles images avec la contre-culture en background. Nous marchions les trois sur Sainte-Catherine avec des trous dans les poches et la bohème heureuse!
Aux abords d’une boutique fermée pour la nuit, un adolescent était enveloppé dans des boîtes de carton. Comme un enfant, il avait fabriqué une maison. J’aurais voulu lui parler du conte des trois petits cochons et lui dire que le carton ce n’est pas le meilleur moyen de se protéger des méchants loups de la Ste-Cath! Il est comme ma soirée aux Fouf, poétique au coton.
Il a 17 ans à peine et toute la naïveté qui vient avec. Le poète est de la Colombie-Britannique, plus précisément de la magnifique petite ville de Port Coquitlam au pays de Terry Fox!!! le jeune homme a marché de son Port Coquitlam jusqu’à Montréal par amour pour une fille. Il a marché le Canada comme Terry Fox aurait voulu le faire, comme il l’espérait avant que le cancer lui gruge la patte qui lui restait. Il a vécu son « summer love » dans les ruelles d’Hochelaga! Pas celle d’Homa, mais ceux d’Hochelag’. Il dessine pour son « summer love » dans un cahier spiral et écrit des poèmes d’amour avec ses 17 ans de vie. Il est déchiré comme le coin de son cahier! La nuit approche et à part sa bouteille de vodka rien ne va le réchauffer en ce début novembre…
Il me montre ses dessins et me récite un poème. Je l’écoute attentivement et je fouille dans mes poches. Il me reste 20 piasses. Il me fait penser à Jack Kerouac, un genre de clochard céleste.
Je lui « fly » un vingt sans lui faire la morale. Il déchire une page de son précieux cahier spirale et me la donne.
Novembre, mois des morts! La poésie est encore vivante, les pieds remplis d’ampoules, Jimmy le hobo de 17 ans en est la preuve en chair et en peine.
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