Lucie Taïeb | L'art de panser les plaies

Publié le 14 mars 2023 par Angèle Paoli

J e cherche quelque chose : une guérison par la voix.

Être immobile, fermer les yeux, écouter.

Je cherche : un lieu où l'on respire.

action de l'écoute, et de la voix.

Ce n'est pas une prière.

Est-ce comme une action ?

Avons-nous des questions ?

Quand laisserons-nous les armes ?

Serons-nous vulnérables ?

Nous n'aurons plus rien à défendre, aucune position, posture,
aucun territoire aucune loi, aucune parole placée au-dessus
d'autres, aucun nom ?


Nous serons exposés, au vent, à la blessure, à la morsure du soleil,
du sel, de l'amour véritable, de la beauté, à la morsure du
monde, nus,

Quelle main nous protègera ?

Quelle main nous portera ?

Quelle main nous soignera ?

Qui prendra soin de nous ?

Aucune, personne ?

Il n'y aura plus que les questions ?

Seulement les questions les plus simples ?

Nous seulement nous ?


Quelles seront les questions qui importent ?

Formuler des questions qui éclairent.

Traduisibles sans reste.

Des questions simples et qui suffisent.

Avons-nous besoin d'autre chose ?

Nous n'avons besoin de personne qui nous protège.

Nous n'avons besoin d'aucun nom.

Nous nous passerons de presque tout.


Peut-être finirons-nous par oublier où commencent nos corps, où
ils finissent, une fois défaite la fiction de nos noms ?

Alors, si tu te blesses, si tu perds connaissance, je lècherai ton
sang comme le mien, et lorsque tu rouvriras les yeux, je reviendrai
à moi.


Je n'ai pas d'idée de l'amour.


M'expliqueras-tu pourquoi je suffoque, quand d'autres se noient ?
M'expliqueras-tu pourquoi je ne suffoque pas, quand d'autres se
noient ? Auras-tu une explication pour ce qui me tord, me tiraille,
m'attire d'un côté, puis de l'autre, et pour ce trouble dans ma voix,
cette dissonance ?

Je ne sais pas comment tu vis.

Une parole qui soigne, est-ce que cela existe ?

Nous ne savons pas comment nous vivons.

Lucie Taïeb, " Est-ce comme une prière " in2022, pp.21, 22, 23.

Lucie Taïeb à Paris (septembre 2019) © Jean-Luc Bertini