Lui le principal habitant
-sauf le chat, les mésanges - de ce jardin
que ne traverse plus aucun enfant,
que n'anime pas
de commune mémoire - je suis seule
gardienne désormais,
et le temps,
ce compagnon transparent
parfois qui s'invite, souvenirs ; je reste
le regard dans le vide et le vague.
À le côtoyer pourtant,
à sa densité, je sais : des êtres,
moi-même naguère entre roses,
balançoire et cerisier
-des êtres ont vécu ici leurs journées.
Au jardin quand vous étiez ici,
quand vous étiez enfants, le vent
s'ébruitait clair
dans les longs feuillages froissés
des peupliers.
La vie piaillait,
la plus jeune parfois était nue
quand elle jouait.
Aujourd'hui le vent
s'engouffre plus sourdement
dans les tentures alourdies
des sombres conifères.
Voix des feuillus, des résineux :
deux saisons, deux temps -celui
ou celle qui reste entend souvent
la vie au passé ;
et le présent est un long silence
où elle se recueille.
Peintures de Caroline François-Rubino, Judith Chavanne, " Trouble du temps " in De mémoire et de vent, L'Herbe qui tremble, 2023, pp. 42,43.