Magazine Humeur

1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

Publié le 24 mars 2023 par Perceval

Lancelot obtient l'agrément pour participer aux " Rencontres Internationales de Genève", sous le signe de '' l'Esprit Européen", du 2 au 14 septembre 1946. Elles sont organisées par L'Europa-Union de Suisse, qui anime un mouvement fédéraliste en vue d'une communauté européenne, voire d'une union mondiale ( selon l'article 52 de la Charte de la toute nouvelle ONU).

Le Comité d'organisation, explique dans un texte-manifeste, ses intentions profondes : " Un monde nouveau est en train de naître. Sera-ce un monde civilisé? Quelle sera cette civilisation? Sera-t-elle à hauteur d'homme? Voici que l'heure est dangereuse et trouble. Les espoirs que la fin de la guerre avait fait naître n'osent plus se montrer au grand jour. Les vertus qui s'étaient trempées dans la résistance au mal ont peine aujourd'hui ä s'unir pour le bien commun. L'ivresse de la puissance et des grands nombres, la démesure, l'oubli de la sagesse, menacent les sociétés et les individus. II est vrai que la pensée de l'Europe, en sa totalité doive être tenue pour responsable de la catastrophe. Si les Européens ont donne l'exemple de bien des folies, l'Europe a été, durant 25 siècles, le lieu où souffle l'esprit - (durant des siècles, pour reprendre l'expression de Paul Valery, ). Le temps est venu de se demander ce qui est vivant, ce qui est valable, ce qui est juste, dans la pensée humaine et européenne" Extrait

1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

Sont réunis des intellectuels, des écrivains et des artistes en provenance de plusieurs pays européens, principalement de France, de Suisse et d'Italie. l'Italien Francesco Flora, le suisse Jean Rodolphe de Salis, les français Julien Benda, Jean Guéhenno et Georges Bernanos, le suisse Denis de Rougemont, le hongrois et marxiste Georg Lukács, l'anglais Stephen Spender et l'allemand et libéral Karl Jaspers.

Ils ont accepté en plus de leur conférence de débattre avec des écrivains ou des essayistes : Jean Amrouche, René Gillouin, Jean Lescure, Maurice Druon ; des critiques : André Rousseaux, Jean Starobinski ; des philosophes : Maurice Merleau-Ponty ou Jean Wahl ; également, le chef d'orchestre Ernest Ansermet, le poète et essayiste Max-Pol Fouchet, le musicologue Antoine Goléa.

1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

Lancelot et Geneviève amènent Anne-Laure, ravie de voyager et de se retrouver dans une ambiance de congrès. Ils ont le privilège de résider à l'Hôtel Beau-Rivage ; là même, où il y a quelques mois, le général de Gaulle, accompagné de son épouse, y résidaient lors du mariage de leur nièce.

1946 - L'Esprit Européen – Bernanos
Hôtel Beau-Rivage - Genève

En marge des conférences et des débats, sont proposés des manifestations théâtrales et musicales : Un récital Paul Valery, L 'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, un Récital Ramuz et L'Histoire du Soldat, la Symphonie pour orchestre ä cordes (1941) de Honegger, et Fidelio de Beethoven.

Antony Babel recteur de l'Université de Genève, explique que " ce n'est pas un hasard que nous avions choisi un tel sujet. Nous voulions, avec d'autres, rechercher dans les décombres de l'Europe les éléments vivants qui pouvaient subsister",

Ce qui touche Anne-Laure, c'est la référence à '' l'esprit européen'' par la figure de Germaine de Staël, développée par Denis de Rougemont, qui ajoute : " La Suisse est intacte. Elle seule a gagné la guerre. "

Pourtant la guerre n'est pas oubliée ; elle est même crainte : Jean Guéhenno, craint " une nouvelle guerre, non pas entre l'Est et l'Ouest, mais une guerre civile mondiale entre la justice sociale et la liberté. " et selon Denis de Rougemont : " Sauver l'Europe, c'est pratiquement et aujourd'hui, empêcher à tout prix la guerre "

Lors d'un débat, il est fait référence à deux ouvrages récents d'Arthur Koestler: - Le Zéro et l'Infini, dans lequel il décrit le mécanisme des aveux lors des grands procès de Moscou en 1936. Dans un régime totalitaire, l'individu représente ''zéro'', il n'existe que par et pour la collectivité. Pourtant, et Malraux le dit dans Les Conquérants : " Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ". Une vie est un zéro mais c'est aussi un infini.

1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

Guéhenno croit et défend ''l'esprit européen'' ; quant à l'objection " Mais l'américanisme, mais le soviétisme ! Mais que sont donc, je vous le demande, l'américanisme et le soviétisme sinon des déformations de l'esprit européen. (...) Et qu'ont-ils fait, l'un et l'autre ? Poussé à l'extrême un seul des principes de l'esprit européen, le principe d'efficacité, le principe du rendement. "

Koestler, dans '' Le Yogi et le Commissaire'', explique que le monde est partagé entre des hommes qui pensent que tout changement social ne peut s'opérer que du dedans de l'homme - c'est l'espèce " yogi ", c'est l'espèce des belles âmes, si je peux dire - et d'autres hommes qui croient que tout changement ne peut se faire au contraire que du dehors - c'est l'espèce " commissaire ". " Eh bien, ni le yogi, ni le commissaire ne sont dans l'esprit européen. Ce qui est dans l'esprit européen, c'est, entre le yogi et le commissaire, l'individu. "

Et, plus précisément, pense Lancelot ; c'est, dans la tradition chrétienne : la personne.

Certains orateurs veulent séparer ''l'esprit européen'' de la question politique, comme Jaspers ; d'autres l'estiment liés ( Lukács..) ; ou seulement : empêcher le retour du fascisme. En question également : peut-on faire l'Europe sans la Russie ?

1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

Le 12 septembre, Anne-Laure ne veut pas manquer la conférence de Bernanos. Comme attendu, il ne se veut pas aimable. Il compare le monde à un ''marché noir'' : après celui des cathédrales, il y a le peuple du marché noir, la démocratie du marché noir !

" La Démocratie est la forme politique du Capitalisme, dans le même sens que l'âme est la Forme du corps selon Aristote. " " L'Europe chrétienne s'est déchristianisée, elle s'est déchristianisée comme un homme se dévitaminise. " " Je vois se construire un monde où ce n'est pas assez de dire que l'homme n'y pourra vivre ; il y pourra vivre, mais à la condition d'être de moins en moins homme. Ce monde se donne l'illusion de se construire parce qu'on y tronque, mutile, retranche tout ce qui appartenait jadis à l'homme libre, tout ce qu'on avait fait à son usage et qui pourrait rappeler demain, au robot totalitaire, la dignité qu'il a perdue, qu'il ne retrouvera jamais plus. "

A suivre....


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine