Il faudrait que quelque chose me pousse, qu'une voix m'appelle.
Pour le moment je reste là au borde de dire ou de
me taire.
Et le poème tient pourtant dans cette hésitation, ce balancement :
Entrer ? Sortir ? Trouver le monde ? Le perdre ?
Le poème est un petit morceau de jour qui brille un instant et s'éteint.
Je le regarde. Je l'écoute faire son bruit de salive et de bouche.
Quelqu'un se cache entre les syllabes. Je ne le vois pas, mais il est là.
J e sors et j'entre en même temps. On appelle ça naître.
Chacun connaît cette indécision. Sortir et entrer à la fois,
Du chaud dans le froid, du silence dans le fracas, de la pénombre dans l'éclat.
Le hurlement vient-il du dehors ou du dedans ? Des deux en même temps ?
Les poings se serrent, les doigts s'ouvrent. Vont-ils vers le monde ou vient-il vers eux ?
Des voix parlent mais on ne les entend pas. Ou si on les entend
On ne les comprend pas. On est sans mots avec sa peau
Avec juste l'air dans sa bouche pour crier.
D onc, j'entre. Rien d'autre à faire : dans le jour, dans le soir, dans la nuit.
Dans ce que je ne sais pas dire. Dans ce que je ne sais pas voir.
L'espace est immense ou étroit, c'est la même chose. J'entre.
Entrer suppose qu'on est sorti. Mais quand était-ce ? Et où ?
Je compte sur mes doigts. Je les confonds. Je les perds.
Où en sommes-nous ? Voyons voir. Le soleil éblouit. L'horizon s'obscurcit.
J'avance dans ce qui s'avance et se retire. Je suis sur un fil.
Je vais tomber. Est-ce qu'on appelle cela le présent .
Jacques Ancet, II, " Les portes " in Un léger désespoir, Poésie Al Manar,2023, pp.39, 40, 42.