" Au pays du qui-vive ", le recueil de Pierre Dhainaut s'ouvre sur l'espace et la fluidité.
ll est rare qu'un texte, son support, et les œuvres mises en correspondance m'aient paru " circuler " avec autant de bonheur (au sens que les plasticiens donnent à ce verbe pour indiquer les cheminements possibles du regard et de la pensée). Ainsi va " Le temps d'un poème / entre deux nuages, d'un nuage /entre deux poèmes "
L'adéquation me semble ici parfaite entre les brefs tercets où Pierre Dhainaut nous offre un très joli condensé de sa poétique et les →
encres de Caroline François-Rubino. Elles saisissent avec beaucoup de délicatesse les différences de texture et d'amplitude des nuages, qui oscillent tout en nuances subtiles entre gris, blanc, et bleu. Le cadrage quant à lui ouvre largement vers un espace bien plus vaste que celui, assez modeste, de la page. Il ouvre aussi, très souvent (mais cela dépend des nuages) vers la profondeur. Il faut également souligner le travail de l'éditeur et la mise en page très soignée qui crée elle aussi de la fluidité. Alain Blanc a en effet choisi de confronter le texte et l'image à gauche ou à droite de manière non régulière et de ne pas numéroter les pages.
Si le texte ne manque pas d'humour parfois : " Combien faut-il de syllabes ? / Les nuages / n'ont jamais su compter. ", il s'agit avant tout de restituer le caractère définitivement insaisissable de ces objets en mouvement, en ciselant " Trois vers qui s'adressent / autour des nuages / au centre, que leur importe. ". À la différence de ce que je peux connaître de la poésie classique chinoise ou japonaise, cela constitue rarement un thème central dans la poésie occidentale. L'oxymore est ici parfaitement à son aise : " Ils disent peut-être /en toute certitude / ce sont bien des nuages ". Tout le recueil contribue à suggérer que tout est bien ainsi, dans le mouvement, la recomposition et à jamais, l'inachèvement.
Le poète conclut : " Merci aux nuages / sur eux l'écriture / a perdu prise. ". C'est sans doute vrai parfois, mais pas tout à fait cependant ici, car ainsi associée à des œuvres d'une grande finesse, il se crée une alchimie et l'ensemble réussit à capter un peu de cet éphémère qui aimante l'esprit et le regard. Avec élégance. Et quelle légèreté...