Au début mai 1948, son ministère accepte que Lancelot soit mandaté par Robert Schuman, pour effectué une mission à Berlin. Il s'agirait d'un rapport afin d'étudier les conditions d'une partition de l'Allemagne en deux états.
La position française du gouvernement français ( avec Bidault, par exemple) vis à vis de l'URSS, était la même que les britanniques, à savoir que le danger russe était " certainement redevenu aussi important sinon supérieur au danger que représentait une Allemagne renforcée. ". Il s'agissait donc de reconstruire les zones occidentales aussi rapidement que possible et sans tenir compte des agissements soviétiques.
Les américains ont annoncé le 1er janvier 1947, l'unification économique des zones américaine et britannique en une zone unique ( bizone ) et plaide en faveur de la " formation prochaine d'un gouvernement provisoire allemand "
La politique française n'est pas encore clarifiée à l'égard de l'Allemagne: L'Allemagne doit-elle se suffire à elle-même, être privée de la majeur partie de son potentiel industriel en démontant ses usines et en la privant de la Ruhr et de la Sarre, et en plus doit-elle payer des réparations aux vainqueurs en même temps ?
En juin 1947, le général George C. Marshall, proposait un programme de reconstruction européenne, le Plan-Marshall. Début 48, nous considérons que les soviétiques n'ont pas abandonné l'idée de contrôler l'ensemble de l'Allemagne.
Lancelot rejoint Baden-Baden et son gouvernement militaire qui conserve l'essentiel des pouvoirs économiques et administratifs. La politique de '' démocratisation '' ou de dénazification pose quelques problèmes ; du fait d'une conception missionnaire qui impose des cadres inspirés du modèle français. L'administration est de plus tiraillée entre les militaires ( le général Koenig) et le cabinet civil administrateur. Koenig, ne souhaite pas encourager la fondation d'un nouvel état allemand.
Lancelot retrouve le ''colonel'' Alfred Döblin, berlinois d'origine, qui occupe un poste à la Direction de I'Education publique. Alfred Dôblin, est l'auteur universellement connu du roman '' Berlin Alexanderplatz''. Döblin porte en permanence, même à des soirées littéraires, l'uniforme français. Il s'engage dans la renaissance de l'association des écrivains en zone française et participe à des émissions du Sudwestfunk où il anime tous les quinze jours une "critique du temps. Il propose à Lancelot de l'accompagner à Berlin.
De Baden, Döblin et Lancelot se rendent à Wiesbaden, puis à Francfort sur le Main, d'où ils prennent un train pour Berlin. A la sortie d'Helmstedt ( zone britannique), les russes contrôlent et visitent les wagons. Si des récalcitrants refusent de se soumettre à leur demande, le train peut être renvoyé ; cela est déjà arrivé. De même, le 12 avril 1948 l'autoroute Berlin-Helmstedt a été fermée sous prétexte de travaux de réparation.
Nous sommes bien, pour Lancelot, à la rencontre de deux mondes qui s'affrontent ; vision que se refuse à formuler Alfred Döblin, qui lui en reste à l'anéantissement de l'Allemagne, après ces douze années passées et un pays qu'il ne reconnaît plus.
Alfred Döblin, 9. Juli 1947Revoyons la situation actuelle depuis la fin de la guerre.
Lors de la victoire sur l'Allemagne nazie, les alliés avec l'URSS s'affichent avec le programme d'un nouveau monde sans guerre.
1945 : année zéro. Les occupants renonçaient à l'annexion, mais s'attribuaient la " supreme authority with respect to Germany " ( 5 juin). Il s'agissait de démocratiser l'Allemagne, mais l'Est et l'Ouest ne partagent pas la même conception de la notion même de " démocratie ".
- Pour nous, argumente Lancelot, la démocratie signifie : le pluralisme politique, le système représentatif et les droits individuels. Ce sont celles-ci que les communistes qualifient de '' libertés formelles '' ou bourgeoises, celles que les classes laborieuses ne peuvent s'offrir, disent-ils, faute de moyens. C'est seulement par la disparition des classes, que s'épanouiraient les libertés ''réelles'' .
Dölbin répond : - Vous pouvez donner le droit de propriété, mais qui vous garantit qu'il ne permettra pas l'exploitation des travailleurs... ?
- Pour moi, continue Döblin, l'Allemagne s'étant déshumanisée, la priorité est donc de restaurer l'individu dans son humanité. (Il faut savoir que Döblin s'est converti au catholicisme en 1941.)
Il est important que les allemands reconnaissent leur implication morale et acceptent d'être vaincus. Seules la conversion et la rédemption du peuple, permettront de garantir une avenir de Paix. J'irai même plus loin : le nazisme les a coupé de leur nature humaine ; culpabilité et expiation sont essentielles dans le processus de dénazification.
Il faut que justice soit rendue au nom des victimes innombrables de ce régime, que la responsabilité et la culpabilité soient reconnues et assumées, que le verdict de l'histoire soit accepté.
Döblin se voit non pas en procureur, mais en " révélateur " (" Aufklärer ") et accoucheur de la prise de conscience, première étape de ce processus.