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Marie Fabre | Le hobby du journal

Publié le 23 juin 2023 par Angèle Paoli

<<Poésie d'un jour 

FUMÉE

 " Ces derniers mois j’avais entrepris d’arrêter de fumer " 

Photo: G.AdC

2017

Entre-temps le temps continuait à tourner. Les fictions
ne parlaient plus que d’une chose appelée futur mais
c’était bien sur mon vélo le présent prenait l’air.
Il n’y avait plus de tu et mon existence dérivait comme une
fleur métaphysique. Le dernier tu s’était tu. N’était
restée que cette manière d’être agréablement et
désespérément moi-même. Les jours où. Comme le reste,
du rythme, tous les jours ou pas.

Et insensiblement, chaque jour, ls choses passaient
à travers moi et demandaient d’être épargnées, mais
il en passait plus que ne permettait le stock – vieux
système d’information instable et déformant que
j’étais. L’ethos à dire dépassait souvent la qualité de
l’information. Mal. Je voulais voir, pas prendre :
encore plus mal. Je regardais le soleil défoncer les volets
du matin et n’en tirais aucune conclusion. Je restais là
à regarder la lumière sans broncher. Je ne lisais pas
non plus. Non studio non lavoro non guardo la TV non
vado al cinema non faccio sport. Non studio non
guardo la TV non vado al cinema non
faccio sport. L’été avait suspendu tout désir à part le
désir de perdurer de la peau. Je me levais et chantais
dans mon lit jusqu’à ce que je ne m’entende plus.
L’été n’était pas une bonne saison pour écrire, hélas
j’écrivais quand même.

Un matin le matin m’avait apporté un rêve. J’avais
ouvert un œil, lu un texto, refermé l’œil. Texto
messager du matin, signe bénin d’une amitié
bienfait du réveil. S’en était suivi le rêve le plus
bienfaisant du moment, ô merci à mon
inconscient quand il réapparaît conscient de
mes besoins, anticipant un baiser la plus douce et
seule douceur depuis… sourire au réveil, souvenir
d’un rêve d’une chose. Une fille me souriait et moi
je caressais simplement son cou avec mes lèvres et
ah tout était si injustement difficile dans la réalité !
Des lignes et des lignes de studios alignés, hommes
Et femmes seuls dans les maisons, clope du soir
à la fenêtre et des verres alignés dans la raréfaction
des regards. La nuit j’arpentais les rues, soirs d’été
muets où je filais comme une petite flèche rouge ou
marchais sans ciller, soldat dans la nuit de plomb
pratiquant le marche toute droite et sans relief que
j’avais spontanément apprise au fil des années pour
ne pas attirer sur mon corps les concupiscences. Mais
qu’importe aujourd’hui j’avais fait un rêve, un beau
rêve longtemps médité dans les draps et remercié
indéfiniment comme on remercie cet autre
pour l’expérience qu’il nous a fait vivre et qui
nous donne la vie. Je quittais la maison pleine d’allant.
Ma vie clapotait dans des bars et je ne supportais plus
qu’on me sépare du monde, si réduit soit-il. Mes amis
prenaient des demis, futur passé présent alignés sur
la table, trois et trois et trois et trois. Pas un coup de
vent pour freiner la cadence. Je visais la dépense.


Ces derniers mois j’avais entrepris d’arrêter de fumer :
ça donnait par jour trois compotes, cinq cookies, et
une quinzaine de clopes après minuit. Un putain de
fiasco. Je me consolais en me disant que personne ici
ne pourrait compter mes addictions, volontaires ou
involontaires, le grammage inconnu des poisons qui
infiltraient la subtile trame des peaux et des organes.
Ce n’était pas très consolant, et je mangeais un coockie.
La nuit je pensais aux années de macération tabagiques,
à mes petits cendriers partout semés, je suais froid en
pensant à une mort moche. Le réel m’apparaissait.
C’était plutôt angoissant, et j’allumais une cigarette…

Tout-corps-entame

Collage BIS

Marie Fabre, Le hobby du journal, dessins de Marie-Anita Gaube, Ecri(peind)dre, Æncrages & Co 2023, pp.15,16,19

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