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Olivier Vossot | fils

Publié le 17 juillet 2023 par Angèle Paoli

<<Poésie d'un jour

Le vide est passé en moi.

 " Je garde l’œil plaqué  contre la plaie silencieuse. "

Aquatinte de  G.AdC 

                                                                                                       

De quelle lenteur je me détache. Des mots ne sont pas les miens.
Nous sommes l’ombre l’un de l’autre. Invisible, l’enfant en moi
n’a pas d’autres mains que ses yeux.


Les instants déroulent leurs volets clos derrière les fenêtres. Des
images me reviennent, d’autres me regardent. Je garde l’œil plaqué
contre la plaie silencieuse.

Le passé prend corps à mesure que je déroule ma propre solitude,
que je gravis le chemin abrupt. Je sens l’aggravation des ombres,
le vertige. Il n’est plus temps de rebrousser chemin et à peine
possible de me retourner. Le vide est passé en moi. Quelques mots
dérisoires pour le combler, des gestes ou des prières. Je ne peux
guère que deviner là où rien ne se donne. Main sur la pierre, les
yeux clos.

Le véhicule s’éloigne. La maison, derrière nous, rapetisse dans
la nuit, éclairée de sa seule fenêtre. Lui, sur le siège passager, ne
laisse rien paraître. En une seconde, grosse de terreur, je vois la
nuque suintante, la figure difforme se retourner au carreau et me
voir, savoir que c’est moi. Il m’était impossible de le quitter. J’ai
compris qu’il était en moi. Le matin ne filtrait pas encore à travers
les lames du volet.


Dans le jardin, le jeu n’était qu’une attente de plus. Les murs
blancs, silencieux, des soupirs dont on exige qu’ils portent tout le
poids et se contiennent. L’ombre est lourde des fruits qui n’ont pas
mûri. Du cri ancré en moi, comme si tout devait encore être vécu.
Les terreurs laissées pour morte, les pensées niées arrachées à ce
que je vivais. Enfant, je ne pouvais les fuir, ni fuir en elles.


Je ne voulais pas voir. Je voulais que cela meure. Qu’il boive plus
vite. Que le sommeil l’avale plus vite et qu’enfin en moi tout
s’endorme.

J’ai étouffé l’enfant. Le mal avec la racine.

J’aperçois sa fêlure à lui, ma fragilité. Contigües l’une à l’autre. La
plaie s’assèche. Je la regarde, muet, comme je regarde grandir mon
propre fils.

Dans les yeux de mon père ce n’est plus lui que je voyais. Jamais
il ne quittait sa détresse pour la mienne. Les instants sans lien.
Chaleur d’été sans issue. Comme l’intuition d’une patience qui
n’est pas celle d’un enfant.

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Olivier Vossot, « fils » III, in fils, Édition La Crypte 2023, pp. 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100.

Olivier Vossot sur → Tdf 


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