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Bernard Chambaz | La vie d’après Williams

Publié le 19 juillet 2023 par Angèle Paoli

<< Poésie d'un jour 

William carlos william

Image de G.AdC 

: la fierté du pays ; le printemps, l’été, l’automne et la mer
; à mon tour
de tenter ma chance
mais je commence en plein hiver :
et si la mer est loin
si cet hiver bat des records
pluie pluie pluie pluie pluie pluie pluie
même le dimanche
la Seine monte centimètre par centimètre
ici à Ivry
elle a déjà submergé les berges
j’entends le clapotis
léger le ressac plus sourd des mètres
cubes de liquide
contre les dépôts de ciment et de béton
l’eau recouvrira bientôt
le ruban d’asphalte qui a remplacé les petits pavés ronds
enfoncés surf leur lit de sable
à coups de marteau
par les ouvriers de la voirie
mais qu’est-ce qui déborde – à part ma gratitude ?
réponse : c’est toujours le temps
il n’y a plus qu’à nager à contre-courant
sans plus se tracasser
avec cette vieille fredaine pourtant tellement intempestive
du commencement
et de la fin


                           *

William Carlos Williams ce n’est pas seulement
les asphodèles notre mariage
des petits riens
c’est aussi Paterson
la ville ouvrière où il vécut
et pour Paterson il s’était inspiré de Dublin
dans le sillage d’Ulysse
autant dire personne
ni rien d’autre que trente siècles au moins
derrière nous et demain devant
-oui avec les citrons oui
la rosée oui un chien oui l’imperfection de tout
les lapins une colonne le flux
du Traité de la nature humaine oui
avec vos seins parfumés
une célébration avec ajouts
et retraits –
et puis il faut bien reconnaître que Ulysse et Ulysse
ce sont quand même la Grèce
et que la Grèce est notre bien commun
comme la mer et la neige
l’amour ou l’amour de l’amour
ou appelez ça comme bon vous semble
vieillesse ou jeunesse ou vieillesse
quand Williams commence à publier son Paterson il a soixante-trois ans

                            *

pas de chute d’eau
à Ivry – quelques
papillons communs et des confettis de couleur
le jour de la fête de l’enfance
en juin-
beaucoup de péniches et de cheminées
dans le quartier du Port
des usines en veux-tu
en voilà
les briqueteries les tuileries les journaliers
qui tirent des brouettes
remplies de briques de tuiles de sable de gravier
une charronnerie où réparer une roue
ou le moyeu
la compagnie des Lampes qui brille
au firmament industriel
juste au-dessus de l’usine des eaux
devenue le dépôt d’œuvres d’art
de la ville de Paris
la réserve des es plâtres et de ses tableaux
pas de chute
mais des remous autour des piles du pont Nelson Mandela
et qui d’autre cette nuit pour plonger
puisque
Tout mérite d’être tenté
et qui sait
encore
qui est le Marcel Boyer du quai Marcel-Boyer
quand on pose le pied
à Ivry-sur-Seine ?

CONTRE-ALLÉES COUV

Bernard Chambaz, La vie d’après Williams in « Contre-Allées », Revue de poésie contemporaine, Printemps 2023, pp.2, 3, 4, 5.

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BERNARD  CHAMBAZ

Bernard-chambaz

■ Voir aussi ▼
→ (sur Encres vagabondesun entretien avec Bernard Chambaz (propos recueillis par Brigitte Aubonnet, mai 2015)


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