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C’est quoi la France?

Publié le 13 mars 2012 par Masterpitch

Mon nom est Keita, Mohammed. Je suis Mandingue. Ma famille était une famille guerrière du royaume Kaabu. Je suis né en 1929 près de Kolda. Depuis la chute du Royaume, ma famille était devenue une famille de guerriers français. Le royaume de mon grand-père c’était le Kaabu, moi mon empire c’était la France. Mon pays était beau. Aujourd’hui le pays de mon fils c’est le Sénégal, c’est toujours très beau, mais c’est moins grand.

En 1949 j’ai été en Provence, c’était beau aussi. Bleu et vert, avec un peu de jaune. C’était moins pâle que la terre de chez moi, moins ouaté comme on dit. J’aurais bien aimé rester plus longtemps, mais je devais aller me battre pour la France en Indochine.

Là-bas, c’est des lianes comme des tentacules, de l’eau, des rizières et des collines, « des collines à plus savoir qu’en foutre » comme disait le capitaine Wilsdorf.

Il y avait un lieutenant breton dans notre section, la 316ème. Il s’appelait Traourec. C’était comme un nom de chez nous, Traoré, mais avec « ec » à la fin. Tous les bretons là-bas ils avaient « ec » à la fin de leur nom. C’était marrant. Traourec il vivait près de Saigon depuis longtemps, il disait qu’il aimait cette France autant que celle où il était né. Il était né prêt de Quimperlé, il disait que le vert était le même, « draguant le gris et le bleu mais pas faux cul pour autant ». Il était rigolo ce lieutenant. Il avait plein de théories comme ça sur les couleurs. Il avait de la famille à Oran, en Algérie. Parfois il disait :

« Des Fleuves agités, bruns, verts, bleus ; des mers et des lagons. Saigon, Hanoï, Tunis, Alger… Des déserts, des montagnes, du vent… Un vent à décorner les bœufs, un vent qui charrie le sable gris, qui nous fouette, qui nous griffe. Des casbahs, des huttes, des tentes, des châteaux, des cabanes… c’est ça la France ! »

Lui et Wilsdorf ont été faits prisonniers à Dien Bien Phu. Wilsdorf y est mort. Comme la plupart. Traourec je l’ai revu à la bataille d’Alger. Il n’était plus marrant. Il avait toujours ses théories sur les couleurs et la France. Mais les couleurs n’étaient plus pastelles, plus dégradées, elles tranchaient, elles giclaient. Il défendait une idée évanouie, une France qui n’existait plus. Déjà dans « la cuvette » en 1954 on y croyait encore nous, mais les autres non. Et c’est pour ça qu’on a perdu, c’est pour ça que Traourec a été fait prisonnier, parce qu’on était les seuls à se battre. Quand je dis les seuls, je ne veux pas dire que nous, je veux dire tous ceux qui étaient sur les collines. Mais ça ne faisait pas beaucoup. Maintenant il s’acharnait Traourec, il voulait se venger. C’est vrai qu’on leur en voulait à tous, aux Viets, aux Arabes, on ne comprenait pas pourquoi ils voulaient détruire le pays. Mais c’est comme ça.

Moi après ça je suis rentré à Kolda. J’ai une femme et quatre fils. Je leur parle de la France. Je crois qu’ils aiment bien cette « idée ».

ChB


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