Magazine Journal intime

Quand le coeur saigne

Publié le 15 mai 2008 par Nitchioule
Dans le château, les rires résonnaient. Les robes rouges virevoltaient. Pieds nus, des tournesols dans les cheveux, les couples dansaient au son des trompettes. Assise sur le muret, sérieuse sous sa casquette, le coeur comprimé, assoiffé, impatient, elle les regardait et elle attendait son tour.
Elle a eu 20 ans. A une soirée, elle a croisé son regard. Ses yeux étaient comme une mer turquoise où plongent les étoiles. Pendant de longues semaines, elle n'a pensé qu'à lui. Il était réservé. Il ne lui parlait pas, mais parfois, il souriait en la regardant. Un matin froid, alors qu'il n'osait pas, elle a remonté son bonnet de laine et elle l'a embrassé. Affolée, submergée d'amour, elle allait à la pêche aux étoiles. Elle voulait deviner chacune de ses pensées. Elle voulait devancer chacun de ses désirs. Elle se donnait tout entière. Son monde s'arrêtait là où il n'était pas.
Mais, il était différent. Il rêvait de voyages. Il rêvait de s'échapper. Pour lui les sentiments, c'était une question de chimie. Une simple équation. Alors, un soir de décembre, sur les marches de la mairie du Vème, il l'a quittée. Les larmes coulaient sur son visage, mais elle n'a pas cherché à le retenir. Elle a arrêté de se nourrir. Elle s'est évanouie de douleur. Elle s'est enivrée jusqu'à l'anesthésie. Elle a couru les bars, embrassé les barmans, dansé avec des vieux.
Elle ne croyait pas qu'un jour elle aurait moins mal. Elle ne croyait pas qu'un jour elle souffrirait plus.
Deux années se sont écoulées dans le délire. Jusqu'à ce qu'elle se rende un soir au "Bombardier". Il fumait des Malboros rouges et il ne la quittait pas des yeux. Elle a vu ses cheveux bruns qui bouclaient sur son front. Elle a vu ses longues mains osseuses. Elle a aimé son sourire flottant. Quand il l'a appelée quelques jours plus tard, son coeur a recommencé à battre.
Petit à petit, il lui a rendu l'espoir et il lui a donné la vie. Ils déambulaient dans Paris à la recherche d'une nouvelle aventure. Ils escaladaient les églises, se baignaient dans la Seine, couraient dans les rues en maillot de bain sous la pluie, exploraient les jardins publics la nuit, dansaient le rock jusqu'à l'aube. Elle était heureuse. Jusqu'à ce que cela ne suffise plus. Comme si le bonheur avait besoin de sa part de malheur pour être savouré.
Or, le malheur, ils ne savaient pas le gérer. Ils souffraient en silence. Ils s'éloignaient. Sur la vitre embuée de la salle de bain, il avait écrit "Je t'aime" dans un dernier sursaut désespéré. Le soir même, elle lui avait rendu la clef de son appartement. Ils s'étaient dit adieu en sanglotant sur le palier. Elle s'était arrachée à lui et elle avait continué. Sans regarder en arrière. Cela faisait trop mal.
A côté des usines qui expiraient, une voiture s'est renversée. Ce jour-là, elle n'a pas pleuré. Elle s'est tapé la tête contre les murs. Elle s'est écroulée dans les caniveaux. Elle a vomi ce qu'elle avait dans le ventre. Ce jour-là, elle n'a pas pleuré. Elle a saigné.

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