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pêche à la rasse

Publié le 02 octobre 2014 par Journalvernois

rasse

Il est une activité de vacances, d’été essentiellement, dont je n’ai jamais fait part, c’est la pêche à la rasse. Dans la campagne tous les riverains de ruisseaux, rivières, ou petits plans d’eau connaissaient cette façon de pêcher et l’ont plus ou moins pratiquée. Si aujourd’hui elle a disparu ou presque, c’est faute de rasse et de gens qui savent ou veulent encore en faire.
Une rasse, c’est une sorte de panier, oblong, de taille variable avec des poignées aux extrémités. ( voir photo) Dans les fermes, les hommes les fabriquaient durant les soirées d’hiver avec du jeune châtaignier pour monter la carcasse qui était ensuite garnie d’osier (saule de vannier) deux essences courantes dans le Morvan. Elles étaient très utilisées au moment de la récolte des patates et des betteraves qui se cultivaient en quantités dans la région. Elles servaient tout l’hiver à distribuer aux vaches un aliment composé de betteraves hachées, mélangées à de la balle et de la farine. Elles pouvaient même servir de nid où la fermière mettait à couver une dinde! On a eu vite fait de détourner son utilisation pour en faire un engin de pêche efficace.
Allez les gars, on prend une friture? Le mot est lancé. Par ce chaud après-midi la proposition fait l’unanimité auprès des ados un peu désoeuvrés. L’équipement est facile à trouver. Des bottes, même usagées et un vieux pantalon vont nous protéger les jambes et les pieds de toute la végétation qui encombre le ruisseau étroit et des cailloux pointus. Il nous faut un sac en toile de jute pour mettre les poissons et bien sûr une rasse. On en choisit une solide, en bon état, à l’osier encore serré pour éviter toute fuite des petits poissons, pas trop grande pour plus de facilité à la manoeuvrer dans l’eau. On en tapisse le fond avec des branchages de verne bien feuillus.Ils sont fixés en insérant la tige entre deux rangées d’osier. La pêche peut commencer. Seuls les grands, Nono et moi ont le droit de pêcher; les petits, mon frère et ma soeur suivront sur la berge.Ils sont chargés de faire le guet, ils ronchonnent. Nous sommes vite à pied d’oeuvre car le ruisseau coule au fond de la cour,point de départ de notre partie de pêche. L’eau y est peu profonde, claire et très fraîche, même en été. On trouve le poisson en quantité sous les berges érodées par le courant rapide, dans les « trous » au détour d’un méandre, où on peut avoir de l’eau jusqu’à mi-cuisse, sous les souches de vernes, de saules et de noisetiers dont la base a été largement sapée; leurs racines ainsi dégagées fournissent un bon habitat aux poissons.
Pour pêcher, la technique est simple. Je pose la rasse verticalement, sur son côté le plus long sur le lit du ruisseau, tout en la tenant fermement perpendiculaire à la berge. Allez Nono, « boule »! Il donne de bons et rapides coups de pieds sous la berge en remuant le plus d’eau possible tout en avançant dans ma direction. Le poisson,dérangé, effrayé par le bruit, égaré dans l’eau troublée, se réfugie dans le feuillage du fond de la rasse qui empêche sa fuite Quand Nono arrive à ma hauteur je la mets rapidement à l’horizontale et la sors de l’eau. A chaque fois c’est le suspense, qui fait vite place à la joie de voir goujons, vairons, chevesnes, gardons ,moutelles et parfois perches arc-en-ciel frétiller sur le fond d’osier. Les guetteurs, sur la berge veulent voir, toucher le poisson. Ce n’est pas toujours facile pour eux de s’approcher de l’eau à cause des ronciers et des orties qui leur barrent la route. Dès qu’ils le peuvent, ils viennent nous aider à récolter la friture et la mettre dans le sac. La toile de jute imbibée d’eau la gardera bien au frais. Si une truitelle ou un sifflet se sont faits piégés on les remet à l’eau. Ce sont exclamations et congratulations si un gros chevesne ou une belle truite se débattent dans le piège improvisé. C’est parfois la déception si un gros poisson, dans un soubresaut retombe à l’eau. C’est parfois une bonne frayeur si en relevant la rasse je découvre un gros rat ou une couleuvre. Je lâche tout et laisse ces animaux plus effrayés que nous s’enfuir. La pêche peut reprendre. C’est tout cela qui fait l’intérêt de notre équipée.
On sait bien que cette pratique est interdite. C’est ce qui la rend encore plus exaltante. On se prend pour des braconniers, bien dissimulés par l’épaisse végétation qui borde le ruisseau. En fait, on ne fait pas grand mal. Dès que l’on juge que la quantité de poissons capturés est suffisante pour régaler la maisonnée, on arrête la pêche, toujours à regret. On se promet de recommencer dans quelque temps,sur une autre partie du ruisseau.
Au retour, on lave la rasse et elle est mise à sécher, pour éviter que le bois ne pourisse.On en aura encore besoin. Puis vient le fastidieux travail de préparation du poisson. Là, on est un peu moins empressé. Les parents sont les bienvenus et tout le monde met la main à la pâte.
Le soir, c’est la récompense. On déguste « notre friture », délicieuse. Je n’ai jamais retrouvé la saveur de ces poissons fraichement capturés, provenant d’une eau vive qui vient de la colline d’Uchon dont le débit est augmenté par de nombreuses sources.
Aujourd’hui je pense qu’il me serait difficile de rééditer nos exploits de jeunesse pour perpétuer cette tradition et faire connaître cette pratique à mes petits-enfants. Le ruisseau a beaucoup changé. Même si l’eau est toujours très claire,des travaux d’hydraulique ont causé un ensablement du lit. Les trous se sont bouchés et l’eau n’est plus assez profonde pour permettre à la faune aquatique de se développer. Le poisson se fait très rare.

moutelle : loche
balle : enveloppe du grain de blé dans l’épi
sifflet : jeune brochet

A bientôt


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