Magazine Journal intime

Donne nous ... (5) - William (suite et fin)

Publié le 15 juin 2008 par Audine

(je recommande fortement de lire la première partie auparavant, et de ne pas lire les commentaires de cette note avant d'avoir lu la note. Mais bon, vous faites comme vous voulez ...)

« Elle a mangé votre reine ! » a dit la blonde.

William réprime un agacement et ne corrige pas par « pris ma Dame ».

William préfère les brunes piquantes aux blondes sucrées, n’importe comment.

Et qui a dit que William a bon caractère ?

La brune se mordille les lèvres et flaire un piège qu’elle n’a pas détecté.

William avance un cavalier qui met en échec le Roi et la Dame.

 

Quand le club ferme, William rentre chez lui. Il shoote dans une canette de bière qui fait un bruit de torrent incongru. Il repense à des vers de Victor Hugo : « Son corps, couvert de lames vertes, Semble un mouvant amas de boucliers d’airain. Son sommeil fait le bruit d’un torrent souterrain. Quand il a soif, sa gueule, ouverte, vaste, horrible, Boit tout un fleuve avec un aboiement terrible».

 

Chez William tout est rangé au cordeau.

William aime la précision. Pour gagner sa vie, il est transcripteur de rapports de vérification techniques en termes juridiques. Aujourd’hui, William a transcrit un rapport de vérification d’une grue à tour Potain de 50 mètres. Si vous insistez un peu, William peut expliquer : le limiteur de course, l’anémomètre, le limiteur de moment, le lest, et citer les règlementations adéquates. Si vous vous intéressez vraiment, William peut détailler : l’Europe et les directives, les décrets d’application et les perpétuelles recherches pour savoir exactement où en sont les obligations. Ca énerve William ça aussi, passer deux heures de temps de travail à la recherche d’une directive sur l’espacement des paliers dans les fûts de grues à tour pour préserver le coût cardiaque du grutier grimpeur.

William pense que ce qu’on sait doit être posé clairement.

Sur un mur de l’entrée de chez William, une feuille A4 est épinglée avec cette inscription : «  L'homme est une corde tendue entre la bête et le surhumain - une corde au-dessus d'un abîme. Nietzsche ».

 

Sophie, la brune du club d’échecs, trouve William beau et est assez fascinée par l’éclat de sa peau cuivrée et son sourire de publicité. Sophie trouve William beau mais fiévreux, une lueur moite du regard, un débit à staccato cachant des silences esquivés.

Après la fermeture du club, elle lui propose d’aller boire un verre.

Elle lui raconte un spectacle qu’elle a vu, l’Enfer, dans lequel joue Romane Bohringer.

Pierre Pradinas, le metteur en scène, a réalisé une adaptation libre du texte de Dante Alighieri. Elle lui raconte la Divine Comédie et ses neufs cercles de l’Enfer, de plus en plus profonds, et qu’il faut traverser pour se sauver. William trouve que Dante n’est pas très logique. Il place dans le 7e cercle les violents coupables d’homicides, tourmentés par les flèches de trois centaures et bouillis dans une mare de sang, puis dans le 8e cercle les Trompeurs, dont les flatteurs et les adulateurs, plongés dans une fosse répugnante. William met dans un coin de son esprit Dante pour y réfléchir plus tard.

Sophie lui explique que l’Enfer d’aujourd’hui est débordé par la foule grouillante, que Pierre Pradinas a imaginé l’ordonnancement de l’Enfer. Elle raconte en riant les sponsors tel que Maltoro et Cona-Cona, et les shows proposés par un Bernard Satan avec un portable collé à l’oreille en permanence.

William regarde Sophie finir son verre et ses doigts nerveux jouer avec ce qui sert de mélangeur. Il a envie de lui prendre la main et de porter ses doigts à sa bouche, et de lui faire un peu mal.

 

Finalement il jette un œil à sa montre, va dans les toilettes, se fait sa piqûre dans la peau du ventre, ressort et chacun d’eux repart de son coté.

William est fatigué, il ne dîne pas et va se coucher directement.

 

William préfère les brunes piquantes aux blondes sucrées, mais c’est la blonde Valérie qu’il ramène chez lui, un soir de pluie où sur le parking, elle s’aperçoit que sa voiture n’a plus de batterie.

Valérie n’est pas farouche, elle a une peau de pêche et une odeur de vanille.

En attendant que William lui serve un verre, elle reluque la bibliothèque, un mélange de livres d’histoire, de vulgarisation médicale, d’atlas et de droit. Elle feuillette un code pénal et lit une page cornée et surlignée de jaune, c’est l’article 64 : « Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». Elle parcourt les titres : Tanaka, Hidden horrors, Japanese war crimes in World War II ; Edward Russell of Liverpool, The Knights of Bushido, a short history of Japanese War Crimes ; PRoteinaceous Infectious particle ONly.

Elle trouve que William est bien sérieux.

Il lui apporte un whisky bien tassé sans glaçon. Valérie ôte son pull qui est humide.

De la main, il attire son visage vers sa bouche et il l’embrasse. Puis il pose son verre, va vers la salle de bain, et rapporte une poignée de préservatifs, qu’il jette sur la table basse. Valérie pose son verre, en prend un et ouvre l’emballage.

C’est ainsi que ça a commencé, sans trop de bavardages.

 

Ca a commencé dans le salon puis ça s’est poursuivi dans la chambre.

William a de l’huile de noix de coco, dont il enduit Valérie pour ensuite la nettoyer lentement avec sa langue, pendant qu’elle gémit va plus vite va plus vite t’arrête pas, puis il part chercher une bombe de crème chantilly dans le frigo, et ils s’en recouvrent mutuellement, sans prendre le temps de toujours l’enlever, et leurs corps en se frottant l’un à l’autre font des bruits mouillés, et comme ils ont laissé la fenêtre ouverte, de temps en temps, un insecte vient se brûler à la lampe de chevet en émettant un bruit d’expiration sifflante.

Valérie, qui est technicienne d’analyse dans un laboratoire de biologie médicale, est partie nue et les cheveux collés aux toilettes et est revenue en commentant le poster de l’île de Nauru « on dirait une mitochondrie ». « T’as le sens de l’observation » lui a répondu William et il s’est mis à lui mordiller les fesses pendant qu’elle se trémoussait.

 

Ils ont dormi aussi un peu, pendant que la nuit entrait dans la chambre. A six heures et demie, William s’est réveillé, comme d’habitude.

Il est allé aux toilettes, puis il a ouvert le frigo et bu à même une bouteille de lait.

A moins le quart, il est allé dans la salle de bain et il a fait sa piqûre de quinacrine et de polysulfate de Pentosan, assis sur le rebord de la baignoire.

En se relevant, il vacille un peu et s’appuie sur le lavabo. Il pense au prion, saloperie. Il a envie de boire un litre d’eau de Javel.

William a la maladie du Kuru. C’est une encéphalopathie spongiforme transmissible. Le visage tordu, le médecin lui a dit « son mode de transmission a pu être relié à un rite funéraire anthropophage » et William s’est retenu de l’empaler sur sa lampe de bureau.

Pense à Nietzsche. Et la force mentale, qui ralentit la maladie. Qui ralentit.

N’empêche, sa jambe gauche tremble sans raison.

 

C’est là, dans la salle de bain, que William a pris sa décision.

William préfère les brunes piquantes aux blondes sucrées mais tant pis.

Il a de la place dans le congélateur, il connaît les techniques de dépeçage. Il est contraint par une force à laquelle il ne peut résister. Il va le faire. N’importe comment, sa fin n’est pas loin, sa faim n’est pas loin.

En allant chercher un grand couteau dans la cuisine, William se demande dans quel cercle de l’Enfer Dante aurait mis les cannibales.


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