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La musique.

Publié le 15 septembre 2023 par Rolandbosquet

musique

Le samedi matin, le chemin qui longe mon courtil est pratiquement réservé aux motos, Yamaha, Suzuki et autres Honda, toutes plus pétaradantes les unes que les autres. À croire que l’empire du Soleil Levant à envahi la région. Leurs bruyantes accélérations effraient certes les oiseaux et les écureuils, mais leurs fiers coursiers ont le bon goût de dégager les accès plusieurs fois par an après les passages de plus en plus fréquents des tempêtes hivernales et sont, en fin de compte, plutôt sympathiques et serviables. Le dimanche matin se révèle, quant à lui, relativement calme. Comme si les marcheurs le réservaient à la famille, au farniente ou même à la messe ! Or, il y a une semaine, une escouade de randonneurs se l’est approprié sans vergogne.

Les feuilles des noisetiers m’empêchent de les distinguer mais je sais que ce ne sont pas des "troisièmes âges", comme ils disent. Ceux-ci ont la vilaine habitude de jaboter sans cesse à la cadence inverse de leurs pas hésitants. Totalement oublieux de la faune qui les entoure, ils avancent comme s’ils étaient seuls au monde ! Les vieux sont d’incorrigibles bavards. Dans le cas présent, j’entends plutôt sourdre des cacophonies de bruits étouffés. Comme s’ils chuintaient de casques posés sur des oreilles. Je ne saurais parler de musique. En dépit de ses fracassants flonflons, la fameuse Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach semblerait presque sage à côté. Surpassés également les "Pom-pom-pom-pom" de la cinquième symphonie de Beethoven et distancées les retentissantes vocalises des Walkyries de Richard Wagner. En réalité, ne jaillissent que de lourds battements réguliers plus proches du marteau-pilon que de la flûte traversière. Où sont les Brahms, Liszt ou Schubert ? Où sont Mozart et Debussy ? Où sont Boulez et Dusapin ? Steeve Reich et Stockhausen eux-mêmes savent se montrer plus riches et plus variés en sonorités, en rythmes et en harmonies ! Où donc est la musique ?

Pour Sylvain Fort*, elle guide l’auditeur attentif qui parvient à échapper au tohu-bohu qui l’environne et au fatras de ses pensées et de ses questionnements vers des ailleurs « dont nos vies ordinaires sont intégralement dépourvues » et, en même temps, vers son propre monde intérieur. Elle le prend tout entier. De corps et d’âme. Et tel le promeneur dans les prairies vagabondes, il y cueille des bouquets de forces nouvelles et d’émotions pures qui l’enrichissent et le confortent pour affronter les confusions et les tapages du quotidien.

Par son "Art de la fugue" et du contrepoint, cette merveille mathématique digne des Einstein et Hawking, Bach nous élève plus haut encore. Il nous rapproche des origines du monde et du cosmos lorsque les quatre forces fondamentales s’ébrouent et se libèrent. Mais alors même qu’elles se dispersent et créent notre univers, elles continuent d’interagir ensemble. Ainsi la musique nous transporte-t-elle à la fois vers nous-même et hors de nous-même pour mieux nous rassembler. Tout comme le chant du pinson et du rossignol, la musique est indispensable à un bonne  hygiène de vie individuelle et collective.

Claire-Marie Le Guay*, qui fréquente aussi bien les partitions de Bach, Mozart et Liszt que celles d’Escaich et Dutilleux, explique que l’on devient musicien le jour où l’on sait comment habiller les silences qui relient les notes entre elles. Il n’est pas en effet de musique sans silence et les "badaboum" qui saturent aujourd’hui les écouteurs et les ondes en éloignent à chaque mesure un peu plus l’auditeur.  En un mot, il vaut bien mieux se laisser envahir par les accents à la fois généreux et exigeants des six sonates pour violon seul d’Eugène Ysaÿe interprétées par Hilary Hahn* par exemple. Nul besoin dès lors d’opiacées ou autres extases artificielles pour atteindre les profondeurs de soi-même et les sommets de l’humain.

*Claire-Marie Le Guay, La vie est plus belle en musique, Flammarion. *Hilary Hahn in Six sonates pour violon solo opus 27 d’Eugène Ysaÿe, Deutsche Gramophone. *Sylvain Fort, La musique souvent nous prend comme une mer, éditions Le Passeur.


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