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De la charrue et des bœufs.

Publié le 29 septembre 2023 par Rolandbosquet

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Madeleine a quitté la vie à quelques semaines de son quatre-vingt-dixième anniversaire. C’était en début juin et tout le village ou presque l’a accompagnée jusqu’au "Jardin du souvenir", comme ils disent à présent. Fille et épouse de paysans, elle connaissait la rudesse de la vie à la campagne et goûtait peut-être d’autant plus les belles histoires que l’on raconte dans les livres. C’est ainsi qu’à chaque sortie de l’un des miens, elle était parmi les premières à solliciter une dédicace lorsque je signais au Tabac-presse de la Grand-rue. C’est malgré tout avec étonnement que je vis Gilbert, son fils, remonter l’allée qui conduit à ma terrasse. « En vidant sa maison, me dit-il, j’ai trouvé ça avec un petit mot à votre nom. Alors voilà ! » Et il me tend une huile sur toile représentant un laboureur dans son champ. « Elle disait que son père avait servi de modèle. Mais j’en doute fort. Je n’imagine pas mon grand-père se prêter à un tel divertissement. Il avait autre chose à faire ! » Que Madeleine ait embelli ou non le passé importe peu. Ce que je remarque, c’est qu’à cette époque et modestement guidés par leur seul bon sens, les laboureurs attelaient les bœufs devant la charrue et non derrière, comme on le voit si souvent aujourd’hui.

Ainsi du souci, fort louable par ailleurs, de limiter la circulation automobile dans les centres-villes. Les pollutions dues aux véhicules à moteur à pétrole causent en effet de nombreuses maladies parmi les populations et c’est donc une affaire de santé publique que de les restreindre autant que possible. On créa d’abord de longues allées piétonnes et on limita drastiquement les places de stationnement. Mais les commerçants pleurent désormais la disparition de leurs clients. Les boutiques ferment les unes après les autres, les vitrines sont abandonnées aux graffitis et aux affichages sauvages et les rues ressemblent de plus en plus à des squats. Qu’à cela ne tienne, on donne des subventions pour refaire les façades. Mais interdits de stationnement et bientôt d’accès, les automobilistes restent malgré tout en périphérie où s’installent de nouveaux magasins que les familles fréquentent d’autant plus qu’elles peuvent les aborder facilement et gratuitement. On avait mis la charrue avant les bœufs alors que le bon sens aurait été de créer d’abord des aires à l’entrée des villes d’où des transports en commun auraient acheminé les chalands jusqu’à leurs destinations.

Et comme toutes ces mesures prises, par ailleurs fort coûteuses, n’ont donc eu, en définitive, que peu d’impact sur la pollution, on décida de prendre le taureau par les cornes : on interdit aux véhicules polluants de pénétrer jusque sous les fenêtres des écolos de centre-ville. On appelle ces zones protégées des ZFE. Mais il ne suffit pas d’agripper fermement les cornes du taureau pour qu’il passe automatiquement devant la charrue. N’importe quel afficionado de la corrida le rappellera en rigolant. Là encore, il eut fallu créer de vastes parcs-relais à l’orée des agglomérations d’où des minibus, autocars et autres tramways auraient acheminé les badauds jusqu’aux bistrots, restaurants, cinémas et négoces en tous genres. Il serait même possible de recouvrir ces "parkings" de panneaux photovoltaïques qui pourraient tout à la fois fournir de l’électricité, remplir des citernes d’eau de pluie pour l’arrosage estival des parterres municipaux et apporter de l’ombre pendant les canicules.

Ainsi de ces grandes manifestations dites de "résistance civile" pour empêcher les exploitants agricoles de creuser des "méga bassines", comme ils disent, pour arroser leurs cultures de maïs. Et si toute cette énergie dépensée pour le leur interdire était plutôt utilisée à les aider à s’en passer ? Les bœufs repasseraient bientôt devant la charrue au lieu de voir leurs champs saccagés et les fourgons de police incendiés. Les promeneurs pourraient alors baguenauder en paix sous les frondaisons sans risquer de recevoir une boule de pétanque ou un grenade lacrymogène sur la tête.

Ainsi des grandes actions contre les compagnies pétrolières. Elles ne font que répondre aux besoins de leurs acheteurs. Ces grands économistes militants pour une planète plus verte rétorquent que c’est précisément en diminuant l’offre que la demande baissera ! Les chasseurs de trafiquants de drogues expérimentent chaque jour le contraire. La course contre les fournisseurs reste vaine tant que les toxicomanes invétérés accourent des beaux quartiers. En attendant, le prix des carburants ne fait qu’augmenter ainsi que leur utilisation. Les kilomètres de bouchons des départs en vacances n’ont jamais été aussi nombreux. On ne saurait mieux répondre aux vociférations des "Yaka" et autres "Fautcon".

Ces derniers reprochent au gouvernement de n’avoir pas atteint les objectifs qu’il s’était fixés en matière d’écologie. Ils n’ont pas tort. Mais s’ils avaient été atteints, ils lui reprocheraient leur manque d’ambition. Or, l’objectif sinon la raison d’être de tous ces mouvements n’est-il pas de convaincre les dirigeants et la population de ce qu’ils appellent l’état d’urgence climatique ? On peut constater qu’eux non plus ne l’ont pas atteint. Quand feront-ils amende honorable avec mines catastrophées, larmes au coin de l’œil et promesse de mieux faire la prochaine fois ?

En tout état de cause, l’expérience montre qu’interdire équivaut à mettre la charrue avant les bœufs. Mais c’est tellement plus facile ! Lorsque j’avais vingt ans, ce slogan égayait les murs : il est interdit d’interdire ! Qui écoute encore les vieux ?


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