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Sangliers, moustiques et punaises de lit.

Publié le 13 octobre 2023 par Rolandbosquet

sangliers

L’entrefilet est passé dans la presse locale une semaine plus tôt. Certes peu visible au milieu des publicités et des annonces grandiloquentes des diverses activités festives à venir dans la ville voisine ou au chef-lieu de canton. Mais le citoyen a bel et bien été informé. Depuis, des affiches ornent le guichet d’accueil de la mairie, le bistrot de la place et le tabac-presse de la Grand-rue ainsi que les vitrines de la boulangerie et de la boucherie coopérative désormais fermées. Des pancartes sont même accrochées aux panneaux de signalisation du hameau et sur le bord des routes : battue au sanglier. Nul n'est donc sensé ignorer l’événement et dès huit heures ce samedi matin, nul ne peut l’ignorer.

Après un bruyant remue-ménage de 4X4, Pick-up et autres véhicules tous-terrains à la recherche d’une place de stationnement, un dernier "briefing" autour d’un casse-croute réunit chasseurs et rabatteurs. Puis, avalée une ultime rondelle de saucisson alors que sonne la demie au clocher de l’église, une horde de gilets orange se déploie depuis l’entrée du chemin qui longe mon courtil jusqu’aux confins du bois de sapins et de la lande qui descend jusqu’au petit étang qui ferme la vallée. Bravache, le lieutenant de vénerie dépêché par le comité départemental m’assure me débarrasser des visites intempestives de ces suidés envahissants qui défoncent les pelouses, brisent les clôtures et saccagent les platebandes de laitues romaines, poireaux et choux pommés. Je pratique depuis toujours une cohabitation heureuse avec la faune sauvage, dis-je, mais là, ils exagèrent !

En fin de matinée et alors que les nemrods se sont enfoncés sous les frondaisons, surgit sur la place un magnifique SUV propre comme un sou neuf suivi d’un deuxième puis d’un troisième. Nul ne pourrait ignorer leur arrivée : sonores coups d’avertisseurs, musique (musique ?) assourdissante digne de champions de "tuning", exclamations tonitruantes et rires à gorge déployée. Et la petite bande de s’engager vers les frondaisons sans même un regard pour le triangle règlementaire avertissant de l’opération en cours. Passé le ru qui coupe le sentier mais invisible en ce moment pour cause de manque d’eau, ils s’engouffrent à leur tour dans les fougères, ronces et genêts qui habillent l’ancien bois victime, il y a près de dix ans, d’une mortelle coupe rase. Lorsque retentit un premier avertissement lancé par une corne un peu enrouée puis un second plus net puis une série de coups de fusil.

Et la clameur de remonter la colline, de ravager d’un pas indifférent et pressé le lit du pauvre ruisseau disparu sous les ajoncs jaunis de ses rives et d’inonder en revanche les trois ruelles aux maisons et aux granges plongées dans le sommeil de leurs vieux atours d’autrefois. « Ils sont fous ! Y a des gens qui tirent ! Faut appeler la police ! C’est dingue ! On ne peut même plus se promener tranquille ! » Jean-Guy, que l’on voit rarement sortir de l’ombre de sa cuisine, surgit sur la pierre de granit usée par le temps de l’entrée : qu’est-ce qui s’passe ? C’est la guerre ? La Jabote, sa sœur, accourt en essuyant ses mains au tablier qui efface encore un peu plus ses formes longilignes : ils vous ont tiré d’sus ? Alerté, Vincent, le conseiller municipal, apparaît enfin tout essoufflé. C’est rien, crie-t-il ! C’est juste la chasse au sanglier ! Z’avez pas vu les panneaux ?

L’Écho Populaire, le quotidien du département, ne manquera pas le surlendemain d’évoquer l’affaire : des chasseurs s’en prennent à de paisibles promeneurs. La télévision régionale s’en emparera pendant au moins deux minutes trente totalement réservées à l’association des Protecteurs de la Nature qui déclare envisager le dépôt d’une plainte par l’intermédiaire de son avocat. Et, sur le plateau, le représentant des Écologistes Indépendants de rappeler doctement l’urgence de préserver la biodiversité.

En un mot, il est écologiquement acceptable de chasser les moustiques, les punaises de lit et les cancrelats mais pas les sangliers qui vont pourtant jusqu’à fouiller les poubelles des habitants des faubourgs, les pigeons de ville dont les fientes érodent les pierres des monuments historiques et les rats d’égouts qui pullulent plus encore que les rats des champs. Allez comprendre !


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