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Éric Chacour, Ce que je sais de toi.

Publié le 27 octobre 2023 par Rolandbosquet

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Les matinées sont fraîches désormais et la rosée fait briller la pelouse. Nous sommes en automne. Les bouleaux n’arborent plus qu’un toupet de feuilles jaunies que la brise fait voleter comme autant de louis d’or jusque sur la terrasse. L’érable commun commence à accumuler les siennes sous ses frondaisons ; je vais bientôt devoir les ramasser et les entasser dans un coin du jardin. Elles feront un riche terreau pour les potées de géraniums. La radio diffuse une vieille chanson de Jo Moustaki, Les Musiciens, sans doute l’une des premières à être gravée sur disque. Né dans la cosmopolite Alexandrie de parents grecs de religion juive romaniote, de langue italienne et originaires de Corfou, baptisé sous le prénom de Guiseppe, inscrit à l’état-civil égyptien sous le prénom de Youssef et prénommé Joseph à l’École Française, le jeune Mustacchi passe ainsi son enfance et son adolescence au carrefour même des civilisations méditerranéennes. Il aurait compris Tarek, le héros du roman d’Éric Chacour, Ce que je sais de Toi, né lui aussi en Égypte au cœur de la communauté catholique des Levantins amoureux des langues grecque, latine et surtout française.

Cependant, Tarek Seidah n’est pas un poète et moins encore un saltimbanque. Médecin comme son père dont il reprend le cabinet dans le quartier résidentiel de Zamalek, sa vie est parfaitement rangée entre Amal, sa mère, qui se fait appeler Aimée, sa sœur Nesrine, sa tante Lola, la servante Fatheya et, à 30 ans, son épouse Mira. Sa seule extravagance sera d’ouvrir un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam et d’y donner, bénévolement bien sûr, des consultations gratuites. Jusqu’au jour où il rencontre Ali. Enfant et à force de s’entendre répondre qu’il comprendrait quand il serait grand, il avait conclu que le vie commencerait plus tard. C’est effectivement ce jour-là où Ali parvient à le convaincre d’aller consulter sa mère dans leur misérable gourbi fait de rapiéçages de bâches, de tôles et de planches dépareillées que sa vie commence.

Le lecteur la découvre sous la forme d’une lettre au français digne de Gustave Flaubert. La "Mémie" du rédacteur ne disait-elle pas toujours qu’il faut s’exprimer avec style jusqu’à donner sa juste place à l’imparfait du subjonctif. Le langage est châtié donc et l’utilisation régulière du passé simple n’est pas sans souffler un air de nostalgie sur le récit. Abreuvés d’articles rapidement écrits pour la presse du quotidien, nous ne sommes plus habitués, hélas, à cette proximité avec la langue de Molière et de Victor Hugo. Délicieusement bercés par l’exquis plaisir du velouté de la phrase et des sentiments, nous nous laissons ainsi entraîner dans une intrigue magistralement menée.

Au soir du 5 juin 1967, Tarek entendait, éberlué, les hourras de la foule cairote enthousiaste face aux exploits des glorieux soldats de son armée alors que commençait la guerre dite des Six Jours contre Israël. Cinquante-six ans plus tard, les conséquences de leur défaite se font encore sentir. L’Histoire ne s’arrête jamais. En 2050, les pauvres étudiants français en littérature contemporaine devront avoir lu tout Marguerite Duras et Patrick Modiano en plus de Marcel Proust. Puissent-ils, malgré tout, ne pas oublier Éric Chacour. (Ce que je sais de toi, Éric Chacour, édition française Philippe Rey).


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