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Livres. Zéro plus zéro égal zéro.

Publié le 01 décembre 2023 par Rolandbosquet

zero

Fuyant le courroux d’un Louis XIV ombrageux, Jean de La Fontaine aurait composé sa fable le coche et la mouche lors d’une halte à l’hôtel de la Pyramide à Bellac, en Limousin. Ce ne sera que de retour dans les salons parisiens qu’il écrira qu’un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras*. Ce que Raymond Devos traduira avec hardiesse quelques siècles plus tard par une fois rien, c’est rien ; deux fois rien, ce n’est pas beaucoup mais pour trois fois rien …* Or on sait aujourd’hui que les possibilités de ce rien que l’on peut associer au zéro sont littéralement fantastiques.

Elles nous paraissent aujourd’hui évidentes. Vous posez votre quignon de pain sur la table au début du repas et vous le finissez avec votre part de camembert. Il vous restera peut-être quelques miettes que vous déposerez religieusement sur le rebord de la fenêtre pour les mésanges qui attendent avec impatience mais plus la moindre bouchée pour essuyer votre assiette de la sauce du pot au feu. C’est pourquoi les Grecs d’Euclide et Pythagore à Dioclès et Ératosthène avaient décidé qu’il ne pouvait exister de nombre plus petit que 1. D’autant que, pour un esprit méthodique, ce moins que rien présente des particularités incohérentes. Si vous multipliez l’un par l’autre deux nombres quelconques, vous obtiendrez toujours quelque chose à l’arrivée. Mais si vous multipliez votre zéro par n’importe quoi, vous n’obtiendrez jamais qu’un autre zéro. Ce qui n’est tout de même pas loin de relever de la sorcellerie.

Jusqu’à ce jour où un philosophe dénommé Jamblique et né près d’Alep en Syrie il y a 1750 ans, estima que le monde des mathématiciens serait bien plus rationnel si l’on pouvait énoncer des nombres inférieurs à ce terrible 1 qui bloquait les imaginations dans l’enfer impitoyable du lambdoïde des platoniciens. Puisque, se dit-il, on peut additionner à sa droite, la logique voudrait que l’on puisse soustraire à sa gauche. Du bout de sa baguette d’olivier, il trace un triangle dans la poussière que soulève une fine brise marine et la place du zéro devient flagrante de symétrie. Hélas, il est toujours difficile de bousculer les idées reçues : les "scientifiques" de l’époque refusèrent cette innovation par trop contraire aux règles établies.

Il faudra attendre la date officielle de l’an 628 pour que le mathématicien indien Brahmagupta observât qu’il lui serait bien plus facile d’écrire ses équations en y incluant un zéro. Ironie de l’Histoire, il lui donnera comme symbole le "o" du mot "oudén" qui signifie "rien", en référence à l’omicron de l’astronomie grecque. Plus tard, les savants arabes, grands voyageurs, estimèrent que les méthodes algébriques des Indiens étaient si puissantes qu’il eut été bien dommage de s’en priver. Et en 1202, un certain Fibonacci rédigera un ouvrage à l’usage des commerçants pour qui l’emploi du zéro facilitait l’utilisation de l’abaque dans l’établissement de leurs factures et, surtout, le calcul de leurs bénéfices. Les banquiers lombards ne pouvaient ensuite qu’adhérer au système. Ils avaient raison. Comment pourrait-on, sinon, avoir aujourd’hui une idée de la distance qui sépare notre propre soleil de l’étoile de Proxima du Centaure*?

Après Harpèges, un essai tentant de renouer le lien entre poésie et musique et une Interview exclusive de Dieu, Antoine Houlou-Garcia* déploie avec humour et rigueur historique l’incroyable odyssée du zéro à travers les siècles. Un voyage en tous points enrichissant et propre à inciter le lecteur à demander à son "conseiller financier" d’en ajouter un sinon même plusieurs au solde de ses relevés de compte mensuels. Hélas, ces zéros-là sont hors de prix !

(*extrait de la fable Le Petit Poisson et le Pêcheur / *Parler pour ne rien dire, sketch de Raymond Devos / *Soit, environ, 39 900 000 000 000 kms / *Il était une fois le zéro, Antoine Houlou-Garcia, éditions Alisio.)


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