Le temps est venu d’étaler sur la terre du jardin potager les feuilles et hautes fougères jaunies par l’automne et ses premières froidures. Elles la protègeront des fortes gelées à venir et retarderont la pousse d’herbes folles qui n’ont de cesse de l’envahir. Il me suffira, aux beaux jours, d’entasser dans un coin ce qui en subsistera avant de me lancer dans de nouveaux semis et autres nouvelles plantations. Les nutritionnistes de toutes obédiences ne recommandent-ils pas de se nourrir de fruits et légumes de saison et de proximité ?
Outre, disent-ils, que leur abondance éloigne les spéculations et protège ainsi le porte-monnaie du consommateur, ils sont plus riches en goût, en vitamines et en antioxydants, tous ingrédients indispensables à un bel épanouissement du corps et de l’esprit dans la joie et la bonne humeur. Point donc, selon eux, de fraises ni de tomates à la noël, de courgettes et de poivrons à la Chandeleur, de raisins et d’oranges à la fête des mères ou de choux pommés et d’endives pour les feux de la Saint-Jean ! Les ronchons diront que ce serait revenir aux affres de l’homme des cavernes condamné jadis au navet et au rutabaga pour agrémenter des cuissots de phacochères mal cuits sur les braises d’un foyer de fortune. Mais à y bien regarder, on peut malgré tout relever que le sacrifice ne serait pas si terrible puisque les "baby-boomers" et autres septuagénaires d’aujourd’hui en voyaient fort rarement sinon jamais sur la table familiale au temps de leur lointaine jeunesse et qu’ils n’en survivent pas moins encore en grand nombre. Trop, diront même les comptables si attachés au bon équilibre financier des caisses de retraite.
Les conseillers en saine gestion ajoutent par ailleurs que l’idéal serait, en matière d’approvisionnements, de privilégier les circuits courts et d’acheter les fameux cinq fruits et légumes obligatoires à deux pas de chez soi. Cette pratique permettrait à la fois aux producteurs locaux de se bâtir enfin de vraies maisons de maître en lieu et place de leur tristes chaumières en bout de champ, d’éviter les actuels et interminables cortèges de camions sur les autoroutes pour transporter, en décembre, de pleines palettes de solanum lycopersicum, polyakène fragaria et autres cucurbitacées cultivées sous plastique dans les péninsules méditerranéennes et de supprimer les défilés maritimes de porte-conteneurs en provenance de l’autre bout du monde pour ravitailler les étals en quinoa, bananes, ananas et avocats entassés en chambres froides avant même que d’être mûrs. On épargnerait d’autant leurs coûteuses dépenses en pétrole émetteur du redoutable gaz à effet de serre. Les ronchons objecteront une fois de plus que nous serions alors condamnés à accompagner la dinde de la trêve de fin d’année de vulgaires choux braisés, poireaux et oignons comme au Moyen-Âge. Certes ! Mais il nous reste tout de même les châtaignes cuites sous la cendre et le foie gras du Périgord tout proche. Ce qui n’est pas rien.
Toutefois, les anciens qui, faute de service météorologique à la carte sur leur smartphone, savaient si bien, sur la base des dictons immémoriaux, dire approximativement le temps du lendemain, rabâchaient déjà au sortir de la guerre qu’il n’y avait plus de saisons, ma bonne dame. Les gelées de célébrer la Saint Mamert, les pluies de repousser les fenaisons après le solstice, les blés d’afficher leur blondeur pour la Fête Nationale et les vignerons d’appeler les vendangeurs dès la saint Fiacre. En un mot, un grand chambardement tant le climat ignore désormais les traditions saisonnières. Et les climatologues qui, eux, ont fait de longues études, d’ajouter que non seulement elles ont en effet une tendance certaine à s’effacer mais qu’elles laissent de plus en plus la place aux inondations intempestives, aux canicules, aux sécheresses et aux méga-incendies.
Comment, dans ces conditions, privilégier des fruits et légumes de saisons qui n’existent plus ? On voit par-là combien le légendaire bon sens de la ménagère de moins de cinquante ans est, une fois de plus, mis à rude épreuve !