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De vent, de froidure et de pluye.

Publié le 15 décembre 2023 par Rolandbosquet

intemperies

Voilà bien un mois que je n’ai ni vu ni entendu la moindre escouade de randonneurs cacochymes baguenauder en malmenant leurs bronches dans le chemin qui longe mon courtil. Dois-je m’en inquiéter ? On aurait certes aperçu un loup hanter ici ou là les basses forêts du Massif-Central. Mais sa présence n’a pas encore été signalée dans nos collines des Monts. Ce ne serait donc pas la crainte de le rencontrer qui chasserait nos promeneuses.

Leur absence pourrait être en revanche causée par le ciel mauvais de cette fin d’automne si généreuse en pluies glaciales et en vents d’océan propres à déraciner les chênes et les châtaigniers des haies et des "buissons", comme on dit ici. C’est pourquoi coutume est prise depuis longtemps dans les campagnes de garder les vieux à la maison lorsque les jours commencent vraiment à raccourcir. Surveille donc le cantou, la mère, t’en vas pas prendre froid ! Et toi, le père, charge pas l’âtre à dos, l’hiver peut être long ! Souviens-toi de 54.

Il s’en souvient, le père, de cette terrible année 1954. La flambée dans la cuisinière à bois avait beau brûler les doigts et friser les moustaches le soir à la veillée et les braises bien rougeoyer encore sous la cendre au petit matin que le givre n’en dessinait pas moins ses fleurs sur les carreaux des fenêtres. Dehors la terre craquait sous les talons ; il fallait casser la glace des auges des bêtes dont les naseaux frémissaient en vain pour les réchauffer ; et le gel transformait les flaques d’eau en patinoires où, gamins, nous lancions des concours de la plus longue glissade en gagnant l’école communale. Oui le père se souvient. Mais, diront les moins de vingt ans, c’était autrefois, au siècle dernier. Les temps ont changé !

Les temps changent, en effet. Ma mère avait l’habitude de dire que, pour la Toussaint, chaque famille mettait un point d’honneur à déposer un chrysanthème au pied des tombes des chers disparus mais que, dès le lendemain, une vilaine bise boréale en brûlait déjà les fleurs. Elle n’en respectait pas moins la tradition l’année suivante, sans se décourager. On ne voit plus cela aujourd’hui. Non seulement les belles et généreuses potées sur les marbres rutilants des caveaux sont de moins en moins nombreuses. Par soucis écologique sans doute, les héritiers souvent dispersés aux quatre coins hésitent d’autant plus à jeter dans l’atmosphère ce terrible gaz à effet de serre que le pétrole qui les produit atteint désormais des coûts exorbitants. (À moins que ce ne soit tout simplement dû à l’oubli dilué dans la course des jours !) Et comme les étés indiens persistent à présent jusqu’à la mi-novembre, les froidures ne frappent que plus tard les derniers et flamboyants bouquets pieusement confiés à la mémoire. On dit même que les "normales saisonnières" ont cette année surpassé, et de loin, les normales précédentes. En un mot, que le réchauffement climatique a encore frappé !

D’aucuns l’accusent même d’avoir déversé à tort et à travers des déluges de pluie sur de pauvres gens désorientés. Il était accusé, cet été, de provoquer canicules et sécheresses. Le voilà condamné pour avoir manqué de discernement. Que n’avait-il arrosé en temps voulu là où c’était sec au lieu de lâcher ainsi, d’un coup, toutes ses réserves ! Rues transformées en torrents, caves et maisons inondées, commerces ruinés, champs noyés sous la boue, habitants accablés et découragés.

Ce n’est pas la première fois, bien sûr. Les annales en rapportent maints récits que l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie* a brillamment commentés. Mais, comme le fait remarquer un ethno-géographe bien connu, si ces aléas climatiques se produisaient déjà il y a un siècle, ils ne frappaient alors que 39 millions d’habitants, pour ne parler que de la France. Ils en tourmentent à présent près de 68 avec leurs innombrables kilomètres de routes et d’autoroutes goudronnées, leurs larges boulevards périphériques, leurs voies express transperçant les campagnes, leurs maisons construites n’importe où, leurs parkings de supermarchés vastes comme des aéroports . . .

Les intempéries frappent en effet depuis toujours, même si l’on a tendance à l’oublier. Mais est-ce une raison suffisante pour ne pas tout faire dès à présent pour réduire nos fragilités face à elles ? Elles ne feront, les unes et les autres, qu’augmenter. (* Histoire du climat depuis l’an mil, Emmanuel Le Roy Ladurie, Flammarion)


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