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L'homme qui voulait vider la mer.

Publié le 04 janvier 2024 par Rolandbosquet

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Vivre en lisière des prairies et des bois ne signifie pas pour autant vivre en totale autarcie. Il est des circonstances où le campagnard invétéré se voit contraint de sortir son automobile à pétrole de sa grange pour se rendre ici ou là. C’est ainsi que je gagne, ce matin-là, le bureau de poste de la ville voisine. Le ciel vient tout juste de libérer une belle averse, remplissant généreusement la collection de nids de poule qui illustrent, ça et là, la chaussée et deux bambins accompagnés de leur mère de s’y jeter à pieds joints. Les éclaboussures jaillissent dans des panaches éblouissants, la mère se récrie et se précipite et leurs rires dessinent des circonvolutions ésotériques autour des platanes dénudés. L’être humain est en effet attiré par l’eau depuis la nuit des temps et les femmes au bain ont inspiré nombre de peintres comme les Suzanne et Bethsabée de la Bible ou la Diane chasseresse de la mythologie romaine.

Il y a environ 2250 ans en la bonne ville de Syracuse, Arkhimdês de Sicile décide de se reposer d’une longue nuit de veille à la recherche des formules savantes qu’on lui connaît. Son vieux serviteur a rempli la baignoire d’une eau tiède et parfumée, son esclave favorite le débarrasse de sa tunique en babillant comme à son habitude et il s’avance d’un pas lourd sur le carrelage de belle faïence bleue aux motifs tarabiscotés. S’appuyant d’une main sur l’épaule de la jeune femme, il plonge son corps tout entier au milieu des effluves de marjolaine et de fleurs d’amandier. Las, emporté par son élan, le vieil homme a versé de pleins baquets d’eau jusqu’à ras bord et une grosse vague s’élève avant de retomber sur le sol. Chacun de s’écrier. Seul Archimède lâche un grognement de satisfaction avant de clamer son fameux εὕρηκα ! Il vient de découvrir que tout corps plongé dans l’eau subit une poussée verticale vers le haut égale au poids du volume déplacé.

Mais le goût pour ces bains individuels se perdra au fil du temps et Louis XIV lui-même ne consentira à plonger sa royale carcasse dans l’eau que sur ordonnance du bon docteur Fagon. Il faudra attendre la Révolution française pour que l’on reparle de baignoire. Depuis le 3 juillet 1793 en effet, le député Jean-Paul Marat ne se rend plus à la Convention où il siège. Sa maladie l’en empêche. Il souffrirait en effet d’une dermatite séborrhéique, une affection de la peau qui provoque de terribles démangeaisons et de douloureux ulcères. Pour en apaiser les ardeurs, il passe pratiquement ses journées dans sa baignoire remplie d’eau soufrée. Jusqu’à ce jour fatal et à la veille de célébrer l’anniversaire de la prise de la Bastille, où il reçoit la ci-devant Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont qui veut l’entretenir d’un prétendu complot. Au bout d’un quart d’heure, la perfide visiteuse sort un couteau de sous ses jupons et frappe la poitrine du malade déjà perclus de douleurs. La lame transpercera le poumon droit, sectionnera l’aorte et percera le cœur, ne laissant aucune chance à sa victime.

Le principe du bain ne pâtira toutefois guère de cette vilaine publicité et nombre de coquettes accueilleront ainsi leurs prétendants dans une débauche de falbalas et de draperies de satin. Mais au début du vingt et unième siècle, le réchauffement climatique et sa maîtresse, la sécheresse, offriront à l’ADEME l’occasion de calculer qu’un bain moyen requière au moins 200 litres d’eau potable alors qu’une simple douche en gaspille à peine 70. La mode est donc, dorénavant, au jet d’eau parcimonieux dans une simple cuvette, comme autrefois dans les foyers modestes.

Cependant et bravant les dictats écologiques, un homme par ailleurs tout à fait ordinaire choisit, ce soir de 31 décembre, de se délasser dans un bain odorant. Nulle main ne vient ôter avec tendresse sa robe de chambre de célibataire et c’est d’un pied las qu’il s’immerge. Par gaucherie sans doute, il bouscule un flacon de sels qui tombe et flotte avec langueur sur les vaguelettes de mousse. Exaspéré, il abandonne un juron, arrête là ses ablutions et vide sa baignoire d’un geste rageur. Après quelques remous, le flacon touche bientôt le fond et l’image des déchets de plastique flottant eux aussi à la surface des océans illumine d’un coup la fatigue de notre maladroit. Et si l’on parvenait, se dit-il, à vider la mer, il deviendrait plus facile de la débarrasser de ces continents de détritus qui la polluent ! Mais comme il sait pertinemment que ce serait beaucoup trop long avec une petite cuillère, il prend la résolution de consacrer l’année qui vient à la recherche de la grande bonde générale qu’il suffirait alors de soulever pour libérer les grands fonds et les nettoyer.

La morale de ce conte d’aujourd’hui est que chacun peut, à sa manière et même modestement, œuvrer à sauver notre planète !


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