Les climatologues sont formels. Les températures qui sévissent actuellement sur nos régions son plus élevées que la moyenne "normale" et de ce fait délétères. Elles relèvent du réchauffement climatique si nocif pour la nature en général et pour l’homme en particulier. L’apocalypse est en marche. Toutefois, profitant éhontément de la clémence des cieux et malgré un plafond de nuages gris et rébarbatifs, un groupe de marcheurs arpente ce matin le chemin de randonnée qui longe mon courtil.
Engloutis sous leur capuche, ils remarqueront à peine les premières fleurs des pommiers du japon qui pointent dans les haies et les perce-neiges, primevères, et autres crocus qui commencent à éclairer les talus. Et leur babillage incessant ne dérangera guère les moineaux, merles, écureuils et lapins sauvages blottis au creux des branches des châtaigniers et des fayards, au fond de leurs terriers ou sous les feuilles mortes au pied des buissons. Car ils parlent ! Ils parlent, ils parlent, ils parlent sans même prendre le temps de respirer ! On se croirait au milieu d’une assemblée de députés en séminaire.
Or il s’agit manifestement, ce matin, d’une cohorte de sujets de sa majesté d’Outre-Manche, le roi Charles le troisième. Sous la grisaille toute britannique qui recouvre la campagne, ils partagent ainsi en toute quiétude les charmes vénéneux de la nostalgie des jours heureux d’autrefois lorsque, encore en bonne santé, le prince de Galles suivait pas à pas sa royale mère. Bienvenue donc à ces Grands Bretons qui ne font guère, en définitive, que mettre leurs pas dans ceux de leurs ancêtres qui nous ont si souvent envahi. Mais peut-être n’est-ce que par pure vengeance de leur part pour la hardiesse de notre glorieux Guillaume le Conquérant qui, depuis sa douce Normandie, se rua, en 1066, sur les terres de leur roi Harold ! Mais nous sommes aujourd’hui en paix et en bonne entente cordiale. Nous les accueillons donc avec un grand "welcome" dans le sourire. Nous leur feront toutefois un reproche : pourquoi s’expriment-ils en étranger ? Pourquoi ne parlent-ils pas en français comme tout le monde ?
On dit communément que les Français sont peu doués pour les langues étrangères. C’est du moins ce qu’ils disent d’eux-mêmes car les étrangers disent ouvertement qu’ils sont en réalité relativement nuls. Mais la langue française étant d’évidence la plus belle langue du monde, on ne voit pas pourquoi ils en parleraient une autre. N’ont-ils pas d’ailleurs mis près d’un siècle à l’adopter définitivement ? Car, il y a cent ans encore, les Alsaciens parlaient l’alsacien, les Ch’tis parlaient le ch’ti, les Bretons parlaient le breton, les Poitevin parlaient le poetou, les Aveyronnais parlaient l’occitan, les Niçois le nissart et les Franciliens le pointu. Grâce au rude acharnement des hussards de la République d’antan, la langue parlée entre les quatre côtés de notre bel hexagone est désormais le parisien.
Certes, on cause de plus en plus en anglais dans notre Grande Capitale. La faute en revient manifestement aux touristes. Chinois, Américains, Japonais ou encore Coréens renoncent à leur langage autochtone pour s’exprimer en anglais dans l’espoir de se faire comprendre du garçon de café lorsqu’ils sollicitent un "coca", la boisson universelle de tous les pays du monde. Mais ce dernier résiste, n’hésitant pas à afficher une mine renfrognée quand ce n’est pas une sourde oreille lorsqu’il entend un babil étranger. Les présentateurs de la Télé eux-mêmes, sans doute incités par leurs "managers", mettent un point d’honneur à ne nommer qu’en anglais les aspects négatifs du "marketing" : green bashing, shrinkflation, increase prices par exemple. Poussés par la furieuse "battle" qui les oppose entre eux, certains se refusent même à traduire. En revanche, on discerne mal les intentions réelles des fabricants de "spots" publicitaires lorsqu’ils tentent de séduire la "housewife under 50" avec leurs "dream-cruise", "anti-aging cream", "great pans" "revolutionaries" et autres "pack", "sun", "finish" et "krupps", tous bien sûr "hypoallergenic".
Quoi qu’il en soit, nous autres franchouillards plus proches de Michel Audiard que de Victor Hugo ou de Marcel Proust, nous ne nous laisseront pas innocemment envahir une fois de plus par ces charabias venus d’ailleurs. Les "t’yes fada je crains degun" marseillais, les "cogne mou" et "frouilleur" lyonnais, les "kopfertami" alsaciens, les "biloute" chtis et autres "busoquer" normands qui suivent le calendos, la teurgoule et sa fallue et le petit fond de calva résisteront encore longtemps.