Magazine Journal intime

La Chasse Aux Gaspillage Des Enfants, Et Inversement.

Publié le 25 août 2008 par Mélina Loupia
La Chasse Aux Gaspillage Des Enfants, Et Inversement.Les enfants, c'est bien connu, dès que ça se pointe sur la terre et vient augmenter le taux de natalité, ça bouffe. Et ça bouffe. Alors tant que c'est maman qui est à l'autre extrémité de la tétine ou de la cuillère, tout va bien, on gère. Mais dès lors que la phase d'autonomie alimentaire est passée, ça devient vite la panique. Non content d'être soupçonné d'héberger un locataire dans l'estomac, l'enfant, surtout lorsqu'il est adolescent, voue une passion sans borne pour tout ce qui est encore sous emballage. Une fois que c'est entamé, c'est moins rigolo, voire angoissant dans la mesure où il prend conscience que s'il reste encore onze Pépito sur douze dans le paquet pour moi, il n'en reste plus QUE onze dans le paquet pour eux. Alors forcément, y en a plus, il faut ouvrir le second paquet. Idem pour les briques de lait, ça ouvre le frigo, ça voit une brique entamée, ça la soulève, la secoue, ça décide que jamais y en aura assez pour remplir le bol à la gueule, alors ça referme le frigo, et ça va dans le placard ouvrir une nouvelle brique, qui sera laissée toute la journée sur le plan de travail, et à un stade de yaourt avancé lorsque je rentrerai le soir et constaterai la transformation lente et l'odeur de vomi de nourrisson dans toute la maison. Je ne parle pas logiquement du bol à moitié plein dans l'évier, au fond duquel le chocolat en poudre s'est sédimenté et fait office de piège mortel à mouches. On aura beau se justifier par l'écoeurement ou le manque de discernement quant à l'appétit matinal, j'aurai beau hurler que tous les jours c'est pareil, qu'au bout d'un certain temps, on admet qu'on a les yeux plus gros que le ventre et qu'il vaut mieux se resservir plutôt que de laisser la moitié du bol pour les mouches, on conclura à une tradition héréditaire. "Je suis sûr que tu le faisais chez mamie. -Faux, elle me le préparait et savait comment j'aimais mon chocolat mamie. -Alors t'as qu'à nous le préparer, moi, j'aime bien quand y en a trop. -Si je te le prépare à ma manière, tu l'aimeras pas et tu partiras à l'école ou avec les copains le ventre vide, on aura pitié de toi et on te fera déjeuner ailleurs et après, on viendra me mettre en prison et JAMAIS tu ne me reverras. -... -Et le premier qui dit qu'au moins, j'arrêterai de vous engueuler toujours sur le même sujet, il finance le budget petit-déjeuner mensuel, auquel j'ajouterai la mauvaise visée du dentifrice sur la brosse à dents et le crépi conséquent fluoré sur le lavabo dont personne n'aura le respect de récupérer pour le brossage de son frère ou le suivant. Et pendant que j'y pense, et je me contrefous que vous soupiriez, le gel ne se reconstitue pas dans le pot, surtout lorsqu'on en prélève la moitié en un matin. Quant aux paquets de gâteaux entamés ou même vides qui encombrent le placard, faut pas me la faire, j'en rachèterai aussi avec votre pognon tant que vous n'aurez pas compris qu'on renouvelle le stock une fois celui-ci épuisé. On est pas dans un hypermarché ici, on fonctionne à flux tendu. -Oui, très. -Allez hop, cinq € de ton pognon dans mon escarcelle. Quelqu'un d'autre veut suggérer quelque chose?" Chaque fois, je remets les compteurs à zéro, je recommande chaudement deux cuillérées à café de chocolat en poudre dans un demi-bol de lait, j'indique qu'on doit d'abord vider les briques du frigo et ranger ensuite et je précise que si l'ouverture de la boite de chocolat est trop grande, avec une cuillère à soupe, on résout le problème de gaspillage potentiel. Chaque fois, on me promet la lune. Chaque fois je me fait rouler dans la farine de base. Et l'autre soir, alors qu'un repas frugal avait été préparé par mes soins, j'autorise largement la prise de deux flans par enfants, flans que j'avais réalisé moi-même dans l'après-midi. Arnaud, friand de ce genre d'entremets, se rue sur son premier, manque de s'étouffer avec le cacao de synthèse, pendant que ses frères, prévoyants comme de futurs retraités, avaient déjà pris leurs deux rations chacun. Ils avaient remarqué qu'après leur passage, leur benjamin n'aurait plus rien à bouffer. J'ai dû faire les frais du machiavélisme des aînés. "J'ai fini mon premier, je peux prendre le second maman? -Tu me cherches là, regarde, tu en as laissé sur les côtés et au fond, t'as juste creusé le centre. -Oui, mais ça prend trop de temps pour racler et ça fait du bruit. -Tu finis tout et ensuite, tu pourras aller chercher l'autre. -... On peut sortir de table nous? -Vous rangez vos assiettes et vos couverts dans le lave-vaisselle. -Ok on peut sortir après? -Oui." Pendant que je trouvais l'empressement de mes deux grands à vider les lieux du crime, Arnaud avait finalement refoulé ses angoisses et pris le temps de faire le prélavage soigné du pot de flan. Il se précipite vers le frigo et je sens un vent frais en provenir. Suivi d'une pause silencieuse, précédée d'une poussée dans les aigus. "J'en étais sûr! Il en reste qu'un! -Et alors, c'est ta part non? -Oui, mais demain? -Mais demain, j'en ferai d'autres. -Oui, mais quand je vais me lever, tu les auras pas faits et le matin, tu en fais jamais et à midi, on aura rien et après, tu vas les faires après le goûter et on pourra les manger que le soir parce que tu les feras refroidir. -Oui et alors, en attendant, le frigo est ouvert, tu gaspilles de l'électricité et tu te mets en colère pour rien, tu vas faire tourner le flan dans ton ventre, alors tu prends le denier, tu le manges, tu ranges, et tu sors. -Mais maman... -Je te conseille de ne pas tenter la négociation, ou alors tu vas mendier chez les voisins. -... -Et tu manges pas ton flan assis devant le frigo, tu viens et tu t'assoies à côté de moi. -Pfiouuuu! -Y a pas de pfiouuuu, quand je dis assis, c'est pas debout devant la chaise ni assis sur la cuisse, c'est assis sur tes feux fesses avec le menton bien au-dessus de la table, afin de ne pas non plus donner ton flan à ton tee-shirt qui a déjà bien mangé. -... -Qui ne dit mot consent, je te remercie de ta coopération." A pas lents, la mort dans la sandalette, Arnaud réapparaît de derrière la porte du frigo avec son flan. Visuellement, j'admets qu'on se rapproche plus de l'érosion d'une falaise calcaire en Bretagne que du flan à la vanille maternel. Je ne comprends pas tout de suite la raison pour laquelle l'enfant est pâle et refoule une légère nausée. Ce n'est que lorsque je colle mon nez au-dessus du pot que je compatis. Olfactivement, je réalise combien la souffrance de mon enfant est grande et surtout, combien je peux en faire un adulte névrosé complètement flippé dès qu'on lui proposera un flan à la vanille ou quelconque autre dessert lacté ou parfumé à la gousse des îles. Je prends conscience qu'une telle erreur peut entraîner son isolement social lorsqu'il vomira ses lentilles à la cantine, ou partira en courant quand sa future belle-mère, fière comme si elle avait un bar-tabac lui en aura fait un rien que pour lui, avec le caramel en dessous, comme sa fille lui avait dit qu'il l'adorait, puisque je le lui aurai dit juste avant, l'air de rien. Alors je me lève, je tente d'ignorer les huées des frangins planqués sur la terrasse qui n'ont rien perdu du spectacle et de leur père, assis, placide, mais ravi qu'enfin, je me prenne l'estocade du siècle, et je m'en retourne vers le frigo, vérifier si d'autres cadavres en phase de décomposition avancée ou un Roquefort en cours de maturation n'avaient pas été oubliés. Et comme soulagée, rien de moisi ou de mutant ne faisait pas sa petite vie sur les étagères, je suis allée dans les placards, et malgré le vide intérieur, j'ai réussi à dénicher un peu de Floraline, que j'ai faite cuire dans du lait vanillé et sucré et ai moi-même soufflé très fort dessus pour ne pas brûler mon tout petit moineau affamé qui discutait avec son père sur la fabrication du yaourt qu'on achète en supermarché. "Tu mériterais de faire comme dans le sketche de Raymond Devos. -Oh toi c'est bon, fais pas ton érudit, tu sais même pas raconter une histoire de Toto sans te planter sur la chute. Maintenant, si tu veux que je te gerbe le flan pourri dans le lit ce soir, c'est toi qui vois." "Hier soir, je rentre chez moi... Qu'est-ce que j'apprends ? J'apprends que le chat avait mangé la pâtée du chien... Ah, mon vieux ! J'ai mis le chat dehors. Là-dessus, qu'est-ce que j'apprends ? J'apprends que le chien avait mangé la côtelette de ma femme... Ah, mon vieux ! J'ai mis le chien dehors. Là-dessus, qu'est-ce que j'apprends ? Que ma femme avait mangé mon beefsteack. Ah, mon vieux !... J'ai mis ma femme dehors. Là-dessus, qu'est-ce que je découvre ? Que le lait que j'avais bu le matin était celui du chat. Ah, mon vieux !... J'ai fait rentrer tout le monde... Et je suis sorti. Sévère... mais juste. " Raymond Devos.

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