C'est une correspondante étrangère qui arrive chez nous pour un séjour de quelques jours. Elle connaît précisément la composition de la famille, alors elle a apporté un cadeau personnalisé pour chacun.
On ouvre les cadeaux. Tout le monde remercie sincèrement. Ou bien juste pour la forme. C'est l'intention qui compte, chacun le sait, et il est bien difficile de viser juste quand on ne connaît presque rien des personnes.
Tout le monde remercie ? Non.
Mon petit frère, âgé d'une dizaine d'années, le plus jeune de la fratrie, se met à pleurer bruyamment. Il a toujours le cadeau le plus moche, ou le plus petit, ou le moins intéressant, paraît-il.
Alors que s'est-il passé ensuite ? Les parents ont-ils par exemple invité à ignorer ses pleurs ? L'ont-ils sommé de disparaître dans sa chambre ? Ont-ils consolé la jeune fille qui, avec sa famille, s'était donné tant de mal pour arriver avec un cadeau pour chacun ?
Ils se sont précipités pour consoler le "pauvre petit", bientôt imités par les autres enfants de la fratrie, moi y compris, laissant la jeune fille méditer sur l'impolitesse collective de cette famille étrangère, impolitesse qu'elle me lancera un jour au visage, avec raison.
J'en suis encore mortifiée, même si je comprends bien aujourd'hui que mon propre comportement m'était dicté par le fonctionnement imprimé par nos parents.
Mais comme cet incident n'était que le reflet d'un état d'esprit beaucoup plus profond qui nous a tous marqués et dans lequel nous avons grandi, 40 ans après, le "pauvre petit" est toujours persuadé qu'il est lésé par rapport à ses frères et soeur, qu'on lui en veut, qu'on lui cache des choses...