Michel-Ange, La création d'Eve, 1512
Toute ressemblance avec des extraits de mails reçus et envoyés par l’auteure est purement due à sa parfaite maîtrise de l’ordinateur en matière de copiage-collage.
« Ah ah ah, un blog, moi ! Meuh nan hein. Franchement est-ce que j’ai une tête de blogueuse ?! Et puis d’abord c’est quoi un blog ? C’est pas ce truc que tout le monde écrit et que personne ne lit ? Ri-di-cule ! »
Ainsi parlait Marie-Georges à l’ami qui semblait vouloir la pousser à la création d’un blog bien à elle. L’ami lui envoya, en guise d’exemple, l’adresse d’un blog où, selon lui, il faisait bon lire. Il s’expliqua :
« Il y a quelques semaines en parcourant le Web j'ai trouvé ce blog et je me suis dis que tu aimerais le ton et le sujet. Delphine m'a dit hier qu'en plus tu parlais de faire un blog (pour rire ou sérieusement je ne sais pas). En attendant voici le lien”
« Faire un blog », c’était effectivement une boutade sympa entre copines pour ponctuer des propos dépourvus d’intérêt : « Et si j’en faisais un blog ? Ouarf ! »
Comme je ne suis pas très organisée de nature, je répondis à quelqu’un d’autre (qui ne m’avait rien demandé et ne m’avait pas écrit non plus) :
“C'est nul les blogs, je trouve ça chiant, toutes ces vies médiocres exposées telles de sublimes oeuvres au regard de tous. Les bloggers donnent leur avis sur tout sans se documenter sur rien et en plus on leur a rien demandé. Pouah !”
Ensuite, je cliquai sur le lien envoyé par l’ami susdit et atterris sur un blog drôle et frais, écrit par une pétillante blogueuse VIP (comme on dit après quand on commence à s’y connaître), dont les textes distrayants, à la fois légers, originaux et instructifs, me passèrent allègrement au-dessus du crâne. Une inexplicable langueur m’étreignit. Mon cerveau gauche téléphona à son voisin de droite : « C’est sympa la déco ici. Bon on s’en va ? »…
Quelques jours plus tard, au gré de mes activités de geek dans les utilitaires sociaux, je découvris, mi-moqueuse mi-jalouse, qu’un ex à moi possédait un blog. C’est donc le sourire en coin – tout droit piqué à la méchante Elisa fomentant un énième sale coup à la gentille Candy - que je parcourus l’œuvre du goujat de naguère : « Hin hin hin ! Quel naze, décidément !», me répétai-je au fil de cette lecture. C’était tellement nul que je revenais m’y gausser chaque jour. C’était peut-être pas si nul. En réalité, je me laissai piéger sans en avoir conscience par le pouvoir insoupçonné du blog en matière de « revenez-y ».
Alors, par le truchement des liens, commença une étrange route des vins bloguesque au milieu de laquelle je titubais chaque jour. Je découvrais le fil à couper l’eau chaude : « Les blogs, c’est comme les humains, certains se ressemblent mais y’en a pas deux pareils », déclamai-je d’un air profond. Et puis un jour, l’addiction. Mon œil papillonnant se posa comme à sa jeune habitude en un point précis de la toile blogosphérique. Il se retrouva aussitôt prisonnier d’un texte, tissé magistralement par un personnage arachnéen que nous nommerons Z. afin d’en préserver l’anonymat. J’étais désormais rivée à un ébouriffant récit à épisodes et hoquetais nerveusement de la souris chaque jour, la sueur au front, en implorant le dieu du net : « Ô grand Tout de la toile sacrée, faites que Z. ait posté aujourd’hui ! ». Il m’entendait. Elle postait. Je me délectais. Ce fut elle qui apposa, devant mes prunelles bées et ma bouche baba, leurs lettres de noblesse à ces objets naviguant guère identifiés qu’étaient pour moi les blogs.
Du temps passa encore. Je trouvais ça drôlement chouette, les blogs. Je me décidai à tenter l’aventure bloguesque, un dimanche comme les autres où je cherchais une excuse pour ne pas faire ma lessive. Ce ne fut pas sans interrogations. « Mmmmh ? Mon blog ? C’est à quel sujet ? », demanda mon surmoi d’un air circonspect. « Comment assumeras-tu d’embêter les autres avec la vacuité de ton existence ? », poursuivit-il. C’est en bloguant qu’on trouve la réponse à cette culpabilité (sans fondement, par définition). En deux mois de blog, j’ai observé ma prose s’enfuir de ma tête pour se coller aux pages du site et s’offrir à la vue de tous. « C’est un journal extime », conclus-je en me relisant. Le produit fini m’intéressant moins que le processus, je décidai de n’avoir ni thèmes, ni rubriques. Parce que quand même, ce qui est bon dans son propre blog à soi rien qu’à soi, c’est la liberté de mettre les pieds sur la table de son petit deux-pièces virtuel et de se balancer frénétiquement sur sa chaise fictive sans risquer la fracture de l’occiput. Et d’être visitée quand même. Je gravai dans l’airain ces commandements à l’unique adresse de mon moi-blogueuse :
- une cohérence jamais tu ne chercheras ;
- si tel est ton bon plaisir, du futile à l’intime, de la politique à la diététique allègrement tu passeras ;
- tes jeux de mots hasardeux sans vergogne au vu de tous tu exposeras ;
- l’angoisse de la page blanche en te déconnectant tu soigneras ;
- à un rythme régulier jamais tu ne t’astreindras ;
- la médiocrité de tes textes tu relativiseras ;
- les compliments tu croiras.
« Comme quoi, le début d’un blog, ça aurait presque la gueule d’une expérience initiatique », finit par se dire Marie-Georges Profonde, en flagrant délit d’autostop sur la voie du Bouddha inspiré. Mon blog ne me ferait-il pas - un tant soit trop - perdre la boule athée ?
Et vous, par quel chemin curieux, improbable, de traverse, départemental ou autoroutier en êtes-vous venus à créer votre blog à part ?