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Sept petits mots

Publié le 05 septembre 2008 par Zoridae
Sept petits motsC'est le troisième jour. Les visages sont tendus, les yeux cernés. Des enfants minuscules gravissent la côte agrippés à leur mère, une peluche usée contre le cœur. Devant les portes vitrées, encore fermées les regards dérivent, épient sur les déambulations du gardien. Soudain le premier cri jaillit. Un garçon, dont sa mère s'était éloignée d'un pas, pleure ; il lui tend les bras, se colle contre elle, niche sa tête dans son cou. Les parents autour haussent la voix et glissent sur le trottoir avec des mimiques ingénues, de manière à dissimuler aux yeux du leur la vue de l'enfant éploré. Je regarde mon fils, je lisse ses cheveux au-dessus de son front. Jusqu'à son œil droit, écarquillé, s'entrelacent des veines d'un bleu tranchant.
Il soupire, les joues gonflées. Dans mes bras, il est avachi, il me parle d'une voix que je ne reconnais pas, atone, calme. Parfois il me regarde comme s'il avait peur de m'oublier, je sens qu'il se repait de moi et il me faut réaliser cela sans partir avec lui en courant, à l'autre bout de la ville. Je brode pour lui, inlassablement, ce que je sais de ses matinées à l'école pour les transformer en épisodes lumineux, plein de panache et de gloire. Il ne semble pas m'entendre. A son tour, il prononce, difficilement, les sept petits mots qu'il a dit en s'éveillant. Rien d'autre que ce chapelet à une seule prière. Je me tais, la gorge serrée, j'attends et j'espère que ce ne sera pas trop dur.
Enfin, le gardien, tourne le loquet et nous rentrons. Ce n'est pas la joyeuse bousculade de la rentrée. Les enfants ne courent plus, empêtrés dans les jambes de leurs parents, serrés, portés, embrassés, ils avancent comme à reculons.
De nouveau, dans la cage d'escalier, un cri résonne. Mais cette fois, il est repris en chœur. Des petites filles en robes roses hoquettent. Leurs cheveux sont artistiquement retenus par des bandeaux, des barrettes, des rubans pailletés tandis que sur leurs joues dévalent des flots de larmes. Dans une classe, une mère, fébrile, désigne un puzzle en bois. Son fils hurle tandis qu'elle l'assoit sur une petite chaise, devant une petite table, parfaitement conçue pour lui. Elle retourne le puzzle. Les pièces claquent et s'entrechoquent sur la table. Alors, l'enfant hurle de plus belle. Il empoigne les morceaux de bois pour les jeter par terre. Sa mère se fâche. Elle lui tape les mains, une dizaine de fois, la langue pincée entre les dents, pointée entre les lèvres. Il se lève, lui tend les bras, étouffant dans son chagrin. Elle lui tape les fesses et l'oblige à s'asseoir. Tirant sur les bords de sa jupe trop courte, elle guette avec angoisse la maîtresse.
Dans l'escalier, un père avec de grands gestes désigne le chiffre peint en rouge sur le mur : "Alors ? Qu'est-ce que c'est ça ? demande-t-il, goguenard."
Son petit garçon, l'air effrayé, fixe les portes des salles d'où proviennent, amplifiées, des lamentations éperdues.
"Là, là, braille le père, regarde. Pfff soupire-t-il, tu es vraiment difficile ce matin, toi !"
Zacharie n'a pas dit pas bonjour en rentrant dans sa classe. Tête basse, il est allé dans son coin, retourner, sans enthousiasme, la boîte contenant les petites voitures. Agenouillée, près de lui j'ai exulté : sur l'une on voyait le sigle de Volkswagen. Nous avons cherché toutes les Volkswagen. Il y en avait une bleue, une jaune, une rouge. Mon fils a esquissé un sourire, presque rêveur, il s'est levé, m'a serrée dans ses bras et a dit : Maman, je veux rester avec toi avant de répéter, mais sans espoir, les sept petits mots : je ne veux pas aller à l'école !
Illustration : Lisa Hurwitz

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