Réflexion six (9 septembre 2008)
Justice et délocalisation
Un conseil des prud'hommes de Libourne, en Gironde, a condamné la société ARENA, connue pour fabriquer notamment des maillots de bain, à payer près de 4,8 millions d'euros au total à 96 de ses anciens employés, majoritairement des femmes, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Leur licenciement avait été prononcé pour motif économique, en mars 2007, après que l'activité de leur usine de maillots de bain ait été transférée en Chine. Cette délocalisation avait été décidé par ARENA après une forte baisse de chiffre d'affaires enregistrée au cours de l'exercice 2005. La direction d'Arena avait ainsi annoncé, en novembre 2006, l'arrêt de l'activité industrielle en France, au motif d'un manque de compétitivité du site. Dans ses attendus, le jugement du conseil des prud'hommes relève que "(...) s'il est évident que le transfert d'activité dans des pays à protection salariale et sociale inférieure aux normes françaises est susceptible d'entraîner une diminution des coûts de production, ainsi qu'une augmentation des marges, cette circonstance ne saurait à elle seule constituer un motif économique de licenciement suffisant (...)".
Dans un communiqué, la société Arena s'est dite "sûre d'avoir agi dans le respect absolu de la loi française, tant sur le plan de la forme que du fond" et reste "convaincue que les motivations de la réorganisation entreprise seront reconnues comme sérieuses et justifiant celle-ci".
Ce jugement permettra-t-il de mettre un coup d'arrêt aux délocalisations des entreprises françaises vers les pays à moindre coûts de main d'oeuvre ? Il faudra d'abord que ce jugement soit confirmé par les instances judiciaires d'appel, dans le cas fortement envisageable où la société ARENA ferait appel du jugement.
Cette affaire pose aussi le problème des raisons pour lesquelles ces sociétés se délocalisent. Qui sont les bénéficiaires de ces mesures de réorganisation, et quels emplois (et combien d'emplois) sont sauvegardés par ces mesures ? Evidemment, ce sont principalement les intérêts des détenteurs du capital de ces sociétés, ainsi que ceux de l'encadrement du groupe, qui sont privilégiés dans ce genre de mesures de réorganisation. Les emplois des salariés sont évidemment les premiers à être immolés pour la sauvegarde financière de ces entreprises, sur l'autel de la mondialisation.
Mais la mondialisation a bon dos. Il n'y a mondialisation que parce que celle-ci est utilisée par des actionnaires et des dirigeants d'entreprise au mépris de la sauvegarde de l'emploi de leurs salariés, pour des profits financiers à court terme, et en l'absence de tout dialogue et concertation avec leurs salariés, salariés qui ont parfois travaillé pendant des années ou des décennies pour ces entreprises. Et c'est un juste retour des choses, une maigre consolation, qu'apporte enfin ce jugement à ces salariés injustement licenciés.
ARENA aurait certainement pu essayer de sauvegarder l'emploi de ces salariés en France, plutôt que de choisir la voie de la délocalisation. Mais cela aurait été plus difficile et surtout plus dangereux financièrement pour les actionnaires ! Va-t-il enfin y avoir une justice pour les salariés dans le monde de l'économie ?